Professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’Ecole normale supérieure de Lyon, l’hyperactif Olivier Neveux est un esprit vif qui nourrit le débat. Dans son dernier ouvrage, il analyse les rapports entre théâtre et politique. Et entame un tour de France pour rencontrer les professionnels et le grand public.
Qu’est-ce que le « macronisme culturel » ?
C’est peut-être faire trop d’honneur aux fondés de pouvoir actuels du Capital que de les créditer d’une pensée sur l’art et la culture. Le macronisme est banalement néolibéral, c’est-à-dire aimanté par l’intérêt privé (les profits de quelques-uns), dépourvu de toute vision historique, sinon celle d’une agitation toute start-upienne au service du marché. Pour l’art et la culture, les choses fonctionnent comme ailleurs, peut-être de façon plus brouillonne et improvisée : au nom d’arguments comptables et « pragmatiques » (s’adapter au nouveau monde) ou de communication sympathique (la souplesse, la fluidité, la proximité), le macronisme précarise, vassalise, privatise et détruit. Et il rencontre pour cela, parfois, de valeureux agents dans le monde artistique, qui trouvent, eux aussi, qu’il faut « être de son temps ». Car le macronisme culturel est aussi la conséquence d’une victoire idéologique. Il rencontre heureusement quelques résistances (plus ou moins organisées, vives, conséquentes).
La majorité actuelle attaque-t-elle selon vous le modèle culturel français ? Le remet-elle en cause ?
Elle attaque de toutes parts les acquis et les conquêtes sociales, des retraites à la fonction publique, etc. Il n’y a aucune raison qu’elle ne le fasse pas aussi pour les questions culturelles. Une tribune, tardive mais intéressante signée par des organisations syndicales, le disait cet été. Il faut préciser : il ne s’agit pas, pour autant, de valider ce qui existe en l’état. Je soutiens que le service public ne démérite pas de ses missions — en regard de ses moyens, de ses possibilités et de la structuration inégalitaire de notre société. Cela ne signifie pas, loin de là, pour autant qu’il faille se satisfaire de ce qui existe et qu’il n’y a rien à en dire. Mais de la même façon que la SNCF était loin, très loin même, de répondre à ce que doit être un service public de transport, les attaques portées à son encontre ne la rende ni plus juste ni plus égalitaire (ni plus efficace). Il en va de même pour la culture.
Vous parlez de « dépolitique culturelle »...
Oui c’est là un mouvement récurrent. Tout tend à abstraire la politique de ce qui la conditionne : une pensée du conflit, de la délibération contradictoire, l’existence d’alternatives. Chaque chose ne se présente que sous couvert de « pragmatisme » ou de « réalisme ». Le personnel macroniste est pourtant shooté à l’idéologie. Certes il le dénie mais la nécessaire adaptation aux dynamiques du monde (tel qu’il nous emmène droit dans le mur) est une affirmation idéologique. Tout dès lors fonctionne de manière verticale, autoritaire : la façon dont ils ont traité cet été la mise en garde des cinéastes à propos de la nomination de Boutonnat dit le peu de cas qu’ils font de leurs interlocuteurs. Mais ce n’est là que la version policée de ce que les « Gilets jaunes » ont pu vivre, elles et eux, de manière policière et physique. La chose est d’ailleurs largement documentée : démocratie et néolibéralisme entrent inéluctablement en contradiction. Pour l’instant, c’est le néolibéralisme qui gagne.
Les élites délaissent le théâtre et la culture dite de service public ?
Je me fie à ce que dit Olivier Py du festival d’Avignon. Mais cela se vérifie, ailleurs, de façon, il est vrai, empirique. Si par « élite », on entend celles et ceux qui sont en position de pouvoir et de décision : cela fait peu de doute. Cela ne signifie pas, loin de là, que, par un phénomène de vase communicant mécanique, un vaste public populaire s’y soit substitué. Longtemps le théâtre a incarné en quelque sorte « plus » que lui-même. Le pouvoir se sentait requis de s’y intéresser, de s’y montrer aussi. Ce n’est plus le cas, il est symboliquement très dévalué. Il s’agit là d’une dynamique : la transformation sensible de la classe dirigeante et la déconsidération de l’art et des « sciences humaines » qui en est l’une des manifestations. Parfois, l’inculture au plus haut sommet de l’Etat est même valorisée (je me garderai bien, pour autant, d’expliquer la brutalité de leurs politiques par cette grossièreté arrogante : le « raffinement esthétique » n’est pas, à l’inverse, un rempart très consistant face à la barbarie).
Le théâtre est-il de plus en plus politique ?
Je ne sais pas trop ce que cela pourrait signifier. Mais assurément, l’heure est à la multiplication des revendications d’une essence ou d’une politique du théâtre — de la part des tutelles, des critiques et des artistes. Politique, d’une certaine façon, il l’est toujours. Ce qui m’intéresse, toutefois, c’est de travailler sur l’autre façon : celle qui ne considère pas la « politique » comme un donné mais comme une opération.
Vous stigmatisez la mode des spectacles engagés et citoyens. Pourquoi ?
Non, je ne stigmatise rien a fortiori pas le fait que le théâtre se soucie de rencontrer la politique. Je sais combien l’histoire du théâtre, du moins au XXe et XXIe siècles, est tributaire de ce que la politique lui a permis d’inventer. J’interroge plutôt les aventures du « théâtre politique » et, en l’occurrence, du mot « politique » dès lors qu’il est à ce point employé. Que vient-il recouvrir ? Désigner ? Quel type d’orientation ? Que fait-il au théâtre ? Et, à l’inverse : ce que le théâtre produit sur lui.
Comment définiriez-vous la politique théâtrale actuelle de l’Etat ?
A l’image du reste de sa politique. Tout cela est très cohérent.
Propos recueillis par Nicolas Marc
A LIRE
Contre le théâtre politique, Olivier Neveux, Editions La Fabrique, 320 pages, 14 euros.
RENCONTRES
STRASBOURG
Mercredi 25 septembre, 19h, Librairie Quai des Brumes, rencontre animée par Sylvain Diaz, autour de Contre le théâtre politique.
MONTREUIL
Vendredi 27 septembre, 18h, Café-librairie Michèle Firk, autour de Contre le théâtre politique, dans le cadre du festival autour de la poésie de Gatti : "Mon navire brise-silence".
MONTREUIL
Samedi 28 septembre, 18h, La Parole errante, autour de la poésie de Gatti : « Notre espace en sera-t-il transformé ? », dans le cadre du festival autour de la poésie de Gatti : "Mon navire brise-silence"
BRUXELLES
Jeudi 3 octobre, 19h, Librairie Tropismes, rencontre animée par Sami El Hage, en présence de Christophe Galent, directeur des Halles de Schaerbeek, autour de Contre le théâtre politique.
LILLE
Samedi 5 octobre, 16h, Librairie l’Affranchie, rencontre animée par Maxence Cambron, autour de Contre le théâtre politique.
MARSEILLE
Jeudi 10 octobre, 20h, librairie Manifesten.
LYON
Lundi 14 octobre, Ens de Lyon, Théâtre Kantor, « Donner à voir l’évolution du monde à travers le théâtre politique », avec Michel Bataillon, Nadja Pobel, Jean-Pierre Thibaudat, animée par Olivier Neveux, pour les 10 ans du Festival Sens interdits, en ouverture de la sixième édition du festival et la deuxième « Ecole éphémère » : http://sensinterdits.org/mediations-culturelles/lecole-ephemere/
MONTPELLIER
Samedi 19 octobre, 14h30, Première séance de l’année du séminaire « Passages secrets : théâtre et politique » dans le cadre du « Qui vive » organisé par le Théâtre des 13 vents — Centre Dramatique National, autour de la création de La Beauté du geste, conçue par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano.
LYON
Mardi 5 novembre, A partir de 10h, Journée d’études organisée par la section Arts : "On n’est peut-être pas fait pour un seul moi". Récits biographiques dans l’oeuvre d’A. Gatti, avec le soir, à 19h, une projection au Théâtre Kantor de la version restaurée du film de Gatti El otro Cristobal.
MONTPELLIER
Samedi 16 novembre, 14h30, deuxième séance de l’année du séminaire « Passages secrets : théâtre et politique » dans le cadre du « Qui vive » organisé par le Théâtre des 13 vents — Centre Dramatique National, dans le cadre des Rencontre des Arts de la scène en Méditerranée.
NANCY
Mercredi 27 novembre, 20h30, Amphi Berlin de Sciences Po Nancy, à l’invitation du CCAM, autour de Contre le théâtre politique.
LYON
Lundi 2 décembre, journée d’études « théâtre et cinéma », organisée par la section Arts de l’Ens de Lyon et le Théâtre des Célestins.
GRENOBLE
Mardi 3 décembre, 19h, au « Petit Angle », autour de Contre le théâtre politique, à l’invitation de Troisième Bureau.
MONTPELLIER
Samedi 7 décembre, 14h30, troisième séance de l’année du séminaire « Passages secrets : théâtre et politique » dans le cadre du "Qui vive" organisé par le Théâtre des 13 vents — Centre Dramatique National, autour de Sopro, mise en scène de Tiago Rodrigues.
PORTO
Vendredi 13 décembre, Festival Oprima 2019, autour de Contre le théâtre politique.