Dans un entretien au « Monde », la directrice de la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, expose les menaces qui pèsent sur son milieu et ses missions, à la suite de l’annonce de l’amputation du budget du ministère la culture.
Après avoir codirigé le Festival d’Avignon, avec Vincent Baudriller, de 2004 à 2013, Hortense Archambault, 53 ans, est à la tête de la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis (MC93), à Bobigny, depuis 2015. Présidente de l’Association des scènes nationales de 2020 à 2023, elle revient sur les menaces qui pèsent sur le secteur de la création dans le spectacle vivant, à la suite de l’annonce, fin février, du coup de rabot de plus de 200 millions d’euros sur le budget du ministère de la culture – annonce tempérée, quelques jours plus tard, par celle que 70 % de l’effort demandé seraient pris sur les crédits mis en réserve, sans que les arbitrages aient, à ce jour, été rendus.
L’annonce gouvernementale, fin février, des coupes budgétaires à la culture a semblé faire déborder un vase déjà bien plein. Quel est l’historique de cette fragilité du secteur du spectacle vivant ?
Comme l’ensemble des services publics, ceux de l’art et de la culture font face, depuis une dizaine d’années, à une situation de moyens stagnants, qui n’augmentent pas du tout au même niveau que l’inflation. Devoir réussir la quadrature du cercle était déjà notre lot. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’on ne peut pas gagner beaucoup d’argent avec nos recettes propres (billetterie ou mécénat). Si l’on augmente le prix des billets, on faillit à notre mission de service public, qui est de rendre le théâtre accessible à tout le monde. Et le spectacle attire peu le mécénat, qui se développe davantage dans les arts visuels ou la musique, domaines plus facilement envisagés comme permettant la communication de personnalités. On se retrouve face à un hiatus de plus en plus criant.
Que voulez-vous dire ?
Parallèlement à cette érosion des moyens, on constate un développement incroyable sur tout le territoire du nombre de compagnies et de lieux, du désir de culture et de spectacles. Il y a soixante-dix-huit scènes nationales en France, et les élus en demandent toujours plus. Mais, concrètement, les moyens n’ont pas du tout été à la hauteur de ce développement. Tous les lieux, aujourd’hui, sont au bout d’un processus, mené depuis plusieurs années, pour rationaliser leur gestion et leur fonctionnement.
Nous sommes pris en étau entre un besoin d’activité, un désir social très fort, et des moyens limités. Les collectivités territoriales, qui à une époque ont beaucoup subventionné la culture, ont elles aussi des problèmes, et ont gelé voire diminué leurs financements. Ici, à Bobigny, nous avons le même financement qu’il y a neuf ans, quand je suis arrivée, ce qui est déjà un effort notable. Mais ce qui implique une érosion mécanique, puisqu’il n’y a pas d’indexation des subventions publiques sur l’inflation, comme c’est le cas en Belgique, par exemple.
Pourquoi est-il si difficile de rationaliser les coûts dans ce secteur ?
La difficulté, c’est qu’on est dans une économie de prototypes. C’est aussi la beauté de ce qu’on fait : chaque nouvelle aventure est spécifique, unique. La tentation à l’œuvre, ce serait de normer le travail de création, tant dans la durée que dans le nombre d’acteurs, les décors, etc., et de nous pousser vers un travail en série, en totale contradiction avec l’art qui est le nôtre. Evidemment, on pourrait ne faire que des solos d’une heure faciles à produire, mais cela n’aurait pas grand intérêt. Les gains de productivité sont extrêmement limités dans nos métiers en raison de ce travail de recherche, de tâtonnement, qui essaie de réinterroger les formes, et de faire en sorte que notre art soit réellement vivant, en phase avec la société.
Quel rôle la crise due au Covid-19 a-t-elle joué dans ce tableau ?
Le Covid a été une sorte de parenthèse, avec des effets divers. J’ai été très angoissée par cette période, et j’ai vécu comme une violence la fermeture de nos lieux et la désignation de la culture comme non essentielle. Mais, de ce fait, nous nous sommes fortement mobilisés, ici, à Bobigny, comme ailleurs, pour continuer à remplir nos missions de service public, avec beaucoup d’inventions pour aller à la rencontre du public.
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