En France, des millions de citoyens en grande vulnérabilité sont, de fait, exclus du service public de la culture. Une situation qui prive ces personnes de citoyenneté culturelle, notion que veut promouvoir André Fertier, essayiste, président du Pôle européen de l’accessibilité culturelle et porte-parole du collectif national Agapé.
« Où sont les élites intellectuelles, culturelles et politiques pour promouvoir la citoyenneté culturelle ? » s’interroge souvent André Fertier. Pour son dernier ouvrage (« La Citoyenneté culturelle : réalités juridiques, enjeux et perspectives », L’Harmattan, 2023), le président de Cemaforre (Pôle européen de l’accessibilité culturelle) et porte-parole d’Agapé (collectif national « droits culturels et vivre-ensemble »), peut cependant se féliciter de l’engagement du sociologue et philosophe Edgar Morin, signataire de la préface. Un message dont il espère qu’il sera suivi d’autres soutiens pour faire progresser la citoyenneté culturelle. Car en France, des millions de citoyens en grande vulnérabilité sont, de fait, exclus du service public de la culture. Si des projets ponctuels existent, ces populations ne sont pas prises en compte dans les politiques menées sur le long terme. Cette dimension de la citoyenneté reste absente de la réflexion sur l’action publique.
Selon André Fertier, les concepts de démocratisation et démocratie culturelles, tout comme celui de droits culturels, ont atteint leurs limites. C’est pourquoi, le 10 décembre 2023, Cemaforre et Agapé ont lancé « la marche pour la citoyenneté culturelle », un cycle de réflexion et de concertation sur deux ans. Depuis, ils ont été rejoints par de nombreuses associations : Les Petits Frères des pauvres, la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées, Cultures du cœur, APF France handicap, Eucrea France, et le Groupement des Animateurs en Gérontologie (GAG). Les promoteurs de cette marche espèrent le ralliement d’autres acteurs encore, y compris ceux de la culture. Objectif ? Mobiliser les branches professionnelles concernées et un travail interministériel (Culture, Santé-solidarité), avec, à la clé, des mesures structurantes.
La citoyenneté culturelle est-elle un concept récent ?
Non, ce concept s’est développé à la fin des années 80 aux Etats-Unis et au Québec. En France, il est émergent. D’ailleurs, il ne figure pas dans le nouveau référentiel métier récemment adopté par les responsables des affaires culturelles des collectivités. La citoyenneté culturelle repose, en France, sur un socle de textes faisant partie du bloc de constitutionnalité, comme le préambule de la Constitution de 1946 – « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte […] à la culture. » –, le principe d’égal accès au service public de la culture et la garantie de sa continuité et de sa mutabilité. Sans parler des nombreux traités internationaux ratifiés par la France et du cadre réglementaire portant sur les exigences d’accessibilité des établissements, produits et services physiques ou numériques.
Le respect de la citoyenneté culturelle est une obligation légale, qui s’impose à tous les échelons de gouvernance. La loi « Notre » de 2015 mentionne que l’effectivité des droits culturels relève de la responsabilité partagée de l’Etat et des collectivités.
Il est inquiétant de constater que ce cadre juridique portant la citoyenneté culturelle n’est pas la référence pour la conception des politiques qui la concernent. Cela conduit à des formes de déchéance de citoyenneté culturelle frappant environ 2 millions de personnes parmi les plus vulnérables vivant notamment en Ehpad, en maison d’accueil spécialisée et au domicile privé. Les conséquences sont dramatiques en termes d’isolement, de syndrome de glissement et de morts prématurées.
Comment se fait-il que les associations ne portent pas cette cause ?
La plupart des associations représentatives de personnes handicapées, dont celles qui gèrent des établissements médico-sociaux, sont en effet peu investies sur la culture. Leur priorité est le droit à la santé, à l’école, à l’emploi, et elles n’ont pas compris l’importance du droit à la culture et des enjeux qui y sont attachés. Elles devraient amener nombre de leurs professionnels à assurer plus d’accompagnements individuels et collectifs vers des activités culturelles et artistiques en milieu ordinaire et à devenir, ainsi, des partenaires des professionnels des secteurs culturel et socioculturel.
Lors d’un entretien que j’ai eu avec elle, Fadila Khattabi, ministre déléguée aux Personnes âgées et aux personnes handicapées, a convenu de la nécessité d’un état des lieux sur les métiers des secteurs sanitaire, médicosocial et social qui participent à l’accompagnement culturel. C’est indispensable pour valoriser des pratiques, repérer les travaux à engager sur des statuts, des formations, etc.
Mais, n’y a-t-il pas une jurisprudence qui permettrait de faire avancer la cause de la citoyenneté culturelle ?
Il y a très peu de plaintes. J’ai eu l’occasion d’en parler avec la défenseure des droits [Claire Hédon, ndlr], qui est bien consciente de la situation. Mais son institution n’est quasiment jamais saisie.
Il y a aussi une autre raison : les avocats et les magistrats sont peu formés, voire pas du tout, sur ces questions. De ce fait, quand ils abordent ce type de sujets, c’est par le biais de textes règlementaires portant sur les discriminations et non sur les droits culturels...
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