
Si les superstars américaines du genre ont longtemps attiré les spectateurs en masse, l’affiche de ces manifestations mêle aujourd’hui de jeunes talents méconnus et des noms du rock ou de la pop. Quelle est vraiment la part du jazz dans les rassemblements estivaux alors que s’ouvre Jazz sous les pommiers, dans la Manche ?
La France est connue pour la diversité de ses fromages et de ses festivals d’été. Terre d’accueil privilégiée des musiciens américains dans les années qui ont suivi la Libération, notre pays a littéralement inventé le festival de jazz. Le premier du genre a eu lieu du 22 au 28 février 1948, à Nice, à l’Opéra de la ville. Louis Armstrong, Django Reinhardt ou Claude Luter étaient à l’affiche. Boris Vian avait chroniqué les concerts pour la revue Jazz Hot. Soixante-dix-sept ans plus tard, le Nice Jazz Fest existe encore et il se porte bien, comme de nombreux autres rassemblements qui lui ont emboîté le pas. Cependant, un examen de la programmation 2025 montre la raréfaction des grandes stars du genre et la présence accrue des artistes hors du champ strict du jazz. Ce qui fait dire à certains observateurs qu’« il n’y a plus de jazz dans les festivals de jazz ». Est-ce bien vrai ?
La saison 2025 commence véritablement ce 24 mai, avec le coup d’envoi de la 44e édition de Jazz sous les pommiers, à Coutances, dans la Manche. Le petit village normand va vibrer toute la semaine. Le chaleureux Denis Le Bas en est le chef d’orchestre depuis quarante ans. « Notre manifestation peut accueillir 1 300 spectateurs. Ceci ne nous permet pas de nous offrir de grosses têtes d’affiche. Le facteur économique a changé la donne. On n’a jamais eu de grandes stars, plutôt de belles locomotives. L’inflation complique les choses. Un chanteur comme Gregory Porter est devenu trop cher pour nous. Alors nous sommes contraints de trouver des solutions. Cette année, Pink Martini va jouer deux fois dans la même journée, c’est notre seule manière de rentabiliser », explique-t-il.
« Personne n’a la recette miracle »
Très apprécié des mélomanes, Jazz sous les pommiers a su se rendre incontournable en misant sur les jeunes talents. « Nous avons mis du temps à construire cela, mais notre public vient pour les découvertes ainsi que pour nos créations dans lesquelles nous accueillons à la fois du jazz et d’autres. Mais personne n’a la recette miracle : nous perdons de l’argent même en faisant le plein. » Le tournant se situe entre 2010 et 2015 avec l’inflation des cachets. « Le Covid n’a fait qu’accentuer cette tendance. Plutôt que de courir après l’offre la plus chère, nous nous efforçons d’être inventifs et de diversifier les couleurs musicales proposées afin de rajeunir et d’élargir notre public. » Si l’édition 2025 est déjà assurée d’être un succès, la prudence est de mise.
Créé en 1960, Jazz à Juan fait partie des rassemblements culturels historiques. Les légendes Mingus, Coltrane, Basie, Ray Charles, Ellington, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Nina Simone et bien d’autres s’y sont produites, dans le cadre magique de la Pinède Gould. Avant son accident cérébral, le pianiste Keith Jarrett mettait un point d’honneur à venir y jouer chaque année entre 2000 et 2013. Depuis 2021, la programmation est réglée par un trio de producteurs français : Jean-Noël Ginibre, Pascal Pilorget et Reno Di Matteo. Ce dernier défend une des plus belles affiches de l’été mais ne cache rien des difficultés rencontrées.
"Le jazz est bien vivant, mais il a changé, et tant mieux. La nouvelle génération de musiciens n’a pas écouté que du be-bop"
Reno di Matteo, programmateur de Jazz à Juan
« Aujourd’hui, lorsqu’on échange avec des agents américains ou britanniques, on a l’impression de parler avec des banques. On se fait massacrer sur tous les postes de dépense, du cachet aux frais de voyage en passant par les coûts de production. » Des contraintes qui obligent à redimensionner la programmation. Alors, jazz ou pas ? « Le jazz est bien vivant, mais il a changé, et tant mieux. La nouvelle génération de musiciens n’a pas écouté que du be-bop. Elle s’est nourrie d’un spectre qui passe par le rock, le reggae et le funk. Notre défi, c’est de jongler avec ces données tout en assurant une pérennité artistique », complète Reno Di Matteo. La programmation de cette année est, à ce titre, une réussite et un modèle d’équilibre.
« Nous proposons une affiche à double lecture, qui croise Mark Lettieri et Robert Plant , Sophye Soliveau et Herbie Hancock , Me’shell Ndegeocello et Gregory Porter. Nous nous donnons du mal pour aller chercher un autre public, en nous demandant jusqu’où on peut aller », confie le programmateur. Avec une scène unique dans tous les sens du terme et une capacité d’accueil limitée à 3 500 spectateurs, Jazz à Juan est dans une équation économique compliquée. « Il nous faut 98 % de remplissage pour être à l’équilibre. Mais la recette de la programmation idéale n’existe pas. »
Retirées de la scène (Sonny Rollins, Keith Jarrett) ou décédées (Chick Corea, Wayne Shorter), les superstars américaines ont longtemps attiré les spectateurs en masse. Le génial Herbie Hancock, 85 ans, est la dernière des légendes de cette génération encore active. Ce pianiste hors norme est capable de...
Lire la suite sur lefigaro.fr