Emma Buttin, conseillère spectacle vivant au cabinet de la ministre de la culture, doit prendre ses fonctions en janvier à la tête du théâtre du Beauvaisis. Son processus de sélection a braqué les membres historiques de l’association qui pilote le théâtre.
Ces derniers mois, le théâtre du Beauvaisis, dans l’Oise, avait surtout fait parler de lui pour ses nouveaux bâtiments. Après des années de travaux, compliqués par la découverte de vestiges romains puis par un incendie, l’équipement en plein centre-ville, conçu par l’Atelier Joulin Chochon, a été inauguré en janvier.
Ce déménagement venait consolider l’essor d’un lieu labellisé scène nationale en 2019, porté par un budget de fonctionnement de près de trois millions d’euros par an, où l’on verra cette saison des spectacles de Lorraine de Sagazan, Noé Soulier ou de compagnies locales.
Mais la nouvelle étape qui s’ouvre ne s’annonce pas de tout repos. La nomination à sa tête d’Emma Buttin, l’actuelle conseillère spectacle vivant de la ministre de la culture Rachida Dati, annoncée le 15 octobre, suscite de vifs remous. En particulier parce que certain·es y voient un exemple de recasage autoritaire, par la ministre, de ses équipes.
En réaction, l’intégralité des dix membres associé·es de l’association du théâtre du Beauvaisis, qui pilote l’institution, ont démissionné en octobre. C’est-à-dire tous ses membres, sauf les quinze représentant·es des pouvoirs publics (agglomération du Beauvaisis, département de l’Oise, région des Hauts-de-France, direction des affaires culturelles, etc.). Dans leur communiqué, ils et elles parlent d’une « rupture de confiance » avec les tutelles et regrettent « l’extinction de la voix citoyenne » portée depuis ses débuts par l’association.
Quant au directeur sortant, Xavier Croci, arrivé en 2015, et sur le point de prendre sa retraite à 71 ans, il vient de refuser sa nomination au rang de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, en protestation. « Le jury qui a désigné ma successeuse témoigne d’une méconnaissance totale de la réalité du travail à la direction [d’un tel établissement] », a-t-il fait savoir.
Le processus de remplacement de Xavier Croci s’est ouvert au printemps. Le jury constitué pour l’occasion intégrait, outre les tutelles politiques, la présidente et le vice-président de l’association, issu·es de la société civile, Valérie Bulard et Jacques Pornon. Aucun des deux, joint·es par Mediapart, n’a souhaité s’exprimer.
Lors d’une première séance en juin, une présélection est effectuée à partir d’environ trente-cinq lettres de candidature reçues. D’après les éléments recueillis par Mediapart, quatre candidatures se dégagent. Mais les représentant·es de la direction régionale des affaires culturelles (Drac) et de la communauté d’agglomération poussent pour ajouter une cinquième candidature, celle d’Emma Buttin.
Des tutelles LR à tous les étages
Les cinq candidat·es retenu·es sont alors invité·es à présenter un projet complet avant la fin d’août. Entre-temps, l’une des candidates, Maïté Pinsard Rivière, passée par la direction du Quartz de Brest, se désiste, pour prendre la tête du théâtre Normandie Lisieux.
Lors d’une deuxième réunion du jury, le 24 septembre, le projet d’Emma Buttin – intitulé « Faire place » – fait l’unanimité chez les tutelles, sans discussion sur le fond. Donnant l’impression, chez les membres de l’association, que la décision était pliée d’avance. En réaction, sa présidente et son vice-président, choqué·es par le processus, démissionnent de leurs fonctions le 1er octobre.
L’affaire se tend un peu plus lorsque, le 22 octobre, la Drac donne l’impression de manœuvrer pour faire élire son propre candidat à la tête de l’association, un ancien administrateur d’institutions culturelles, après le départ de la présidente. Dans la foulée, les huit autres membres du collectif claquent la porte, le 28 octobre.
"L’annonce de départ stipulait qu’une expérience de plusieurs années de direction dans un équipement culturel serait demandée. Et là, ce n’est pas le cas."
Xavier Croci, directeur sortant du théâtre du Beauvaisis
À Beauvais, le paysage politique est parfaitement aligné : l’agglomération, présidée par l’ancienne ministre Caroline Cayeux (ex-Les Républicains, LR), le département, dirigé par la LR Nadège Lefebvre, mais aussi la région, tenue par Xavier Bertrand, LR lui aussi, sont de la même couleur que celle de l’actuelle ministre de la culture. Ce qui nourrit, sur place, de fortes suspicions. « L’apparence a été totalement respectée. Ils se sont téléphoné avant, et puis c’est tout. Ils sont restés dans la procédure », s’exaspère auprès de Mediapart une source proche du dossier.
Sur le papier, Emma Buttin ne manque pas d’atouts. Elle est passée par la Gaîté-Lyrique à Paris (responsable des résidences), puis par la Villa Albertine à New York (là encore, coordinatrice des résidences). C’est par cette Villa Albertine, lointain équivalent de la Villa Médicis à Rome, qu’elle connaît Gaëtan Bruel, qui deviendra en janvier 2024 directeur de cabinet de Rachida Dati. Ce dernier a pris la tête du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) l’année suivante.
C’est en février 2024 qu’elle est nommée conseillère de la ministre. Problème : Emma Buttin n’a jamais dirigé, à ce stade, de lieu, encore moins une scène nationale. Ce qui semblait être la raison pour laquelle le jury avait, au départ, écarté sa...
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