Deux semaines après l’affichage anonyme d’une liste de noms de potentiels harceleurs ou agresseurs dans les toilettes d’Art Basel, des actions ont été organisées au congrès sur les écoles d’art pour critiquer la prise en charge des violences sexistes et sexuelles dans ces établissements.
L’affaire des affiches qui fait frémir en sourdine tout le milieu de l’art contemporain vient de rebondir jeudi 6 novembre à Marseille. Il y a deux semaines une liste avait été placardée dans les toilettes de la foire Art Basel à Paris recensant les noms d’une vingtaine d’artistes, galeristes, commissaires, enseignants ou directeurs d’école d’art associés aux termes de viol, harcèlement ou agression - des personnalités vivantes ou mortes, certains visés par des procédures, comme l’artiste Claude Lévêque accusé de faits de pédocriminalité, et Georges Phillipes-Valois visé par une enquête de Mediapart, et d’autres ne faisant pas l’objet de plainte ou de signalements connus. Les mêmes affichettes, désormais augmentées de cinq nouveaux noms, se sont multipliées dans les couloirs et sanitaires des Beaux-Arts de Marseille. Simultanément, lors d’un happening surprise, une quarantaine d’élèves en écoles d’art a déroulé des rouleaux de papier toilette sur les marches du grand amphi de l’école avec les mêmes noms inscrits au marqueur noir. L’opération s’est déroulée à l’occasion des Assises nationales des écoles d’art, un événement organisé toute la semaine par l’Association nationale des écoles supérieures d’art (Andea), qui regroupe depuis trente ans 44 établissements, aujourd’hui en crise.
Parmi les sujets mis sur la table pendant ces assises : l’accès au service public alors que certaines collectivités remettent en cause leur utilité et leur répartition sur le territoire, les notions d’hospitalité et d’inclusion, ou encore la question des débouchés. Mais rien ou presque rien sur les violences sexistes et sexuelles (VSS) qui constituent pourtant un sujet majeur dans les écoles, parmi les premières à avoir porté dans le secteur de l’art contemporain le virage #MeToo depuis la création en 2020 du hashtag #BalanceTonEcoleDArt parti de l’école d’art de Besançon, où le directeur avait été mis à pied pour «faute grave» et alors que d’autres cas sont portés devant la justice (comme à la Villa Arson, à Nice). Si depuis un an et demi c’est principalement le collectif #MeToo art contemporain qui poursuit le travail de collecte de témoignages (avec des agissements répertoriés dans les écoles, mais aussi centres d’art, musées ou galeries), rien d’étonnant à voir ressurgir ce débat très à vif sur les VSS à l’occasion d’un congrès sur les écoles d’art.
«On doit batailler pour s’exprimer»
Mercredi 5 novembre, deux jours après le début des premières tables rondes, l’intersyndicale «Ecoles d’art et design en lutte» formée en 2022 et regroupant des syndicats d’enseignants et d’étudiants, le Snead, Staa, Snap-CGT ou l’Union syndicale des étudiant·es d’écoles de la création (le Massicot), convoque une AG pour aborder cette question qui agite les écoles d’art depuis quelques années. Une action est décidée pour le lendemain. «On a très peu la parole, on doit batailler pour s’exprimer alors même qu’on est les premiers concernés», regrette Math Botrel, étudiante aux Beaux-Arts de Lyon et membre du Massicot, qui a participé à l’action menée jeudi durant plus d’une heure et demie, en lieu et place d’une table ronde qui devait initialement être modérée par un directeur d’école dont le nom figure dans la fameuse liste d’Art Basel. «Ils se sont saisis du micro et ne l’ont pas lâché», rapporte un enseignant membre de l’intersyndicale.
Sur scène, ils sont une quinzaine d’étudiants, venus d’au moins six écoles à prendre la parole. Leurs interventions, «frontales mais étayées», selon le même enseignant présent dans l’assistance, ont interrogé le rôle des directions et des conseils d’administration dans la gestion des signalements, dénonçant l’impunité de certains enseignants et le manque de transparence des procédures. «Lorsqu’il y a des signalements, nous ne sommes pas informés des suites et les victimes ne sont pas toujours accompagnées», ont-ils souligné. «Il y a eu peut-être 25 ou 30 salves d’applaudissements», relate l’enseignant. Un autre témoin, également enseignant en école d’art, décrit lui un climat d’une grande violence, entre des interpellations ciblant nommément certains directeurs ou enseignants, le cri d’une enseignante de 60 ans dénonçant publiquement l’ancien directeur de son école qu’elle accuse de ne pas avoir géré ses signalements visant l’un de ses collègues, ou encore les larmes des deux étudiantes membres du conseil d’administration de l’Andea visiblement débordées par l’action de leurs camarades.
«La société a changé beaucoup plus vite que les structures»
Quelques voix dans la salle mettent aussi l’assemblée face aux risques de «diffamation» ou de «calomnie». Interpellé sur le cas deux enseignants cités dans la liste d’Art Basel, Morgan Labar, à la tête des Beaux-Arts de Lyon, estime que s’il est nécessaire d’entendre cette détresse, il ne peut pas agir sans signalement ; et la directrice des Beaux-Arts d’Annecy, Isabelle Carlier souligne les difficultés liées aux enquêtes administratives visant des enseignants problématiques.
Interrogée par Libération, cette dernière résume : «Nous devons composer avec des outils non adaptés, des référents VSS épuisés ou incompétents et un manque d’investissement de notre tutelle.» Tout en réaffirmant son «soutien total aux étudiants, y compris dans leur façon de hacker les choses. Que les outils de la militance soient utilisés je le comprends, le problème c’est que de travailler sur ce sujet du VSS prend des années». «La société a changé beaucoup plus vite que les structures ne peuvent le faire», abonde un autre directeur qui estime toutefois que...
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