Mediapart s’est procuré un rapport interne qui décrit un conflit de gouvernance et des retards accumulés dans l’organisation de la prochaine capitale européenne de la culture en France. Le maire de Bourges, Yann Galut, assure y avoir répondu avec célérité, avec l’arrivée notamment d’un nouveau président à la tête de l’association.
Quand, en décembre 2023, Bourges a été désignée capitale européenne de la culture pour l’année 2028, cette victoire a été interprétée comme « la revanche des villes moyennes ». Passé l’effet de surprise, beaucoup y ont vu le succès d’une candidature « à taille humaine », loin des grandes machines que furent les expériences de Lille 2004 ou Marseille 2013.
« Bourges 2028 offre un nouveau modèle sociétal et territorial pour les villes petites et moyennes », lit-on dans le projet de candidature qui l’a emporté sur les trois autres villes françaises en lice dans la dernière ligne droite (Clermont-Ferrand, Montpellier et Rouen). Depuis la périphérie, la préfecture du Cher (64 000 habitant·es) promettait une autre manière d’organiser ces manifestations événementielles, plus attentive à l’intégration des populations locales, plus soucieuse d’autres formes du vivant, plus sobre aussi, prônant une stratégie bas-carbone.
Mais presque deux ans après cette désignation, les documents que Mediapart s’est procurés racontent une autre histoire, un peu moins réjouissante. Selon les termes d’une mission d’expertise qui s’est déroulée durant l’été 2025, et qui a été présentée le 27 août, il est question d’un « conflit ouvert de la codirection », d’une « opacité des décisions », d’un « management trop vertical », ou encore d’un « besoin de montée en compétences » dans l’équipe.
Le document, réalisé à partir de 17 entretiens individuels, alerte aussi sur un « fonctionnement [centré] sur le court-terme, sans vision des étapes clés à venir », une « stratégie “bas carbone” encore peu traduite », ou encore une « organisation en retard structurel […], exposant le projet à des risques critiques pour sa crédibilité et sa faisabilité ».
Bourges 2028, menacée ? Dans un entretien à Mediapart, le maire de Bourges, Yann Galut (Parti socialiste), qui avait fait de cette candidature un des axes de son projet pour la ville aux municipales de 2020, assure : « Je ne conteste absolument pas les conclusions du rapport, même si j’ai pu trouver le ton un peu alarmiste par endroits. » Et d’ajouter : « J’ai réagi de manière très rapide pour apporter des solutions, et ferai tout, dans la transparence la plus absolue, pour que l’année 2028 soit exceptionnelle à Bourges. »
C’est l’association Bourges 2028, chargée du pilotage effectif de la manifestation, qui a elle-même commandé cette mission flash durant l’été, en réaction à un premier courrier, daté du 16 juin 2025. Cette lettre était adressée au maire et aux deux codirecteurs de Bourges 2028, Pascal Keiser et Frédéric Hocquard. Elle était signée par six commissaires et artistes associé·es de longue date au projet, dont l’écrivain Camille de Toledo, le commissaire Hou Hanru (ancien directeur du Maxxi, le musée d’art contemporain de Rome) ou encore la commissaire indépendante Évelyne Jouanno.
Incertitudes budgétaires
Dans cette lettre, que s’est aussi procurée Mediapart, ce collectif lançait une première « alerte » : « Quelque chose monte […], qui cause chez nous une inquiétude, une incertitude et une insécurité. » Et de s’alarmer des conflits au sein de la direction – une « atmosphère conflictuelle » qui les « fragilise » – et de « l’absence d’interlocuteurs et interlocutrices » : « Nous manquons notamment d’un suivi contractuel, juridique, financier. »
« Nous voyons naître le risque d’un rejet de Bourges 2028 si les valeurs mises en avant par le projet ne sont pas en accord avec un soin, une attention, dans ce suivi opérationnel », lit-on encore dans cette lettre, qui parle d’« une forme d’impasse, voire une aggravation, après un an d’échanges ».
Le coup est rude pour les deux copilotes de la manifestation, Pascal Keiser et Frédéric Hocquard. Le premier, un Belge de 58 ans né d’une mère italienne, fut l’un des piliers de Mons capitale européenne de la culture en 2015 (dans la Wallonie belge). Fondateur et directeur de La Manufacture à Avignon (Vaucluse), il est le commissaire général de Bourges 2028, chargé de la coordination artistique et des réseaux européens. Il a rejoint l’équipe dès l’été 2021 et nourri l’essentiel du projet, notamment autour de l’engagement bas-carbone.
"Sans budget sécurisé, il est impossible de prendre des engagements financiers ou contractuels avec des artistes et des commissaires."
Pascal Keiser, codirecteur de Bourges 2028
Le second a un profil plus politique : Frédéric Hocquard, 56 ans, adhérent des Écologistes, est un élu, adjoint à la mairie de Paris chargé du tourisme et de la vie nocturne. Durant les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, il a multiplié les entretiens sur la pression touristique dans la capitale. En mars 2024, c’est-à-dire après la désignation officielle de Bourges, il est appelé par le maire Yann Galut pour devenir délégué général de la manifestation, aux commandes des questions budgétaires en particulier, mais aussi des relations avec les collectivités françaises.
Confrontés par Mediapart à ces remous internes, le maire de Bourges et les deux codirecteurs rejettent d’abord la faute des retards sur les incertitudes politiques. L’instabilité née de la dissolution de l’Assemblée nationale, en juin 2024, a tout compliqué. À ce jour, la structure ne connaît toujours pas exactement le budget sur lequel elle peut compter (lire l’encadré ci-dessous).
« Ces derniers mois n’ont pas été un long fleuve tranquille pour l’association, en raison notamment des incertitudes financières de la part de l’État », fait valoir Yann Galut. Symbole de ces difficultés : la réunion interministérielle (la « RIM ») qui devait sécuriser le budget apporté par l’État était prévue… la semaine de l’annonce de la dissolution. Elle s’est finalement déroulée deux jours avant le départ de François Bayrou de Matignon, en septembre 2025, plus d’un an plus tard. L’État, qui avait d’abord promis 12 millions d’euros (dont 6 millions du ministère de la culture), va finalement en apporter 10.
« Sans budget sécurisé, il est impossible de prendre des engagements financiers ou contractuels avec des artistes et des commissaires. Cela a pu générer un certain retard, certaines frustrations et insatisfactions, ce que je comprends et partage », avance Pascal Keiser.
À en croire les directeurs, cette incertitude a compliqué la période de transition du projet Bourges 2028, alors que l’association, au moment de la victoire de décembre 2023, n’était qu’un poids plume : une équipe de cinq salarié·es, dont quatre « juniors ». « Bourges a gagné en mode start-up, insiste Frédéric Hocquard. Quand j’arrive en mars 2024, il n’y a pas de locaux, pas d’équipe. Le conseil d’administration est brinquebalant, sans personnalités qualifiées. Je me suis d’abord attelé à ça, à remettre le truc d’équerre, quitte à retarder la contractualisation des commissaires. »
Querelles personnelles et « déséquilibres salariaux »
Pour Pascal Keiser, ce retard à l’allumage serait presque un classique dans l’histoire de ces événements hors norme, à l’économie très particulière, avec des montées en régime très rapides : « Dans presque toutes les capitales européennes, le basculement entre la phase de pré-design et celle de la production est toujours délicate, et oblige toujours à changer un peu les équipes. À Marseille, Jean-François Chougnet n’a pris la direction que deux ans avant. Pour Evora 2027, au Portugal, l’embauche du directeur artistique a été faite un an et demi avant le début de la manifestation. C’est quelque chose d’habituel. »
Quant aux tensions personnelles entre les deux hommes, confirmées à Mediapart par plusieurs personnes proches de l’association, Frédéric Hocquard et Pascal Keiser prennent soin de les minimiser : « Tout le monde ne se comporte pas en Bisounours dans ces structures, il y a des tensions inévitables entre le pôle artistique, qui n’avait pas d’assurance sur les budgets, et la partie administrative et financière. Mais je dirais qu’il y a eu des discussions », estime Pascal Keiser.
Frédéric Hocquard dit encore : « Pascal [Keiser] a sans doute un caractère plus calme que le mien. Mais il y a des points de discussion, qui ne sont pas des points de conflit. Il n’y a pas de désaccord majeur quant au portage du projet. » Il donne l’exemple des...
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