
Avec son association le Créa, le directeur artistique règne sur 14 festivals ou saisons de concerts, soit quelque 1 500 événements par an. En coulisses de cette machine de guerre, sa dizaine de salariés subiraient les humeurs de René Martin, dans une ambiance hypersexualisée. Deuxième volet d’une enquête au long cours menée par La Lettre du Musicien et Mediacités.
À deux pas du chic boulevard Guist’hau de Nantes, sur la façade d’une résidence cossue, quatre lettres bleues se détachent : Créa, pour Centre de réalisations et d’études artistiques, l’association fondée à Nantes en 1978 par René Martin. C’est depuis deux étages d’ex-appartements au charme désuet que le célèbre directeur artistique règne sur 14 saisons de concerts et festivals de musique classique, dont certains parmi les plus importants de France. Mais derrière les murs de cette petite forteresse, règnerait une ambiance de travail pesante. Qui oscillerait entre aura, emprise, humiliations et atmosphère hypersexualisée depuis des décennies, selon une vingtaine de témoignages recueillis par La Lettre du Musicien et Mediacités, provenant d’actuels comme d’anciens salariés. « Je n’ai jamais humilié personne », réagit René Martin, qui rejette toutes ces accusations.
Une atmosphère qui transpire pourtant déjà dans les équipes qui collaborent avec le Créa. Clotilde*, qui a tenu à rester anonyme comme la totalité des personnes interrogées dans cette enquête, a travaillé deux ans à la Cité des congrès qui assure la production de la Folle Journée nantaise, alors que le Créa, René Martin en tête, pilote sa direction artistique (une confusion, qui amène des fausses notes financières, comme le détaille la première partie de notre enquête). « Il veut avoir la main et un regard sur tout, mais avec les deux équipes séparées, c’était extrêmement difficile de travailler dans de bonnes conditions », raconte celle qui a le sentiment que toute son équipe subissait les humeurs du directeur artistique.
« Je n’ai jamais connu une telle ambiance »
« Il est colérique, et il ne faut pas que ça sorte du cadre. De son cadre », affirme Léo*, un autre ancien de l’équipe de production. Tous deux évoquent une page qui s’est tournée dans la douleur. « Ceux qui ont travaillé avec lui ont souvent besoin d’en parler des années après tant les conditions de travail sont difficiles. Je n’ai jamais connu une telle ambiance dans aucun autre festival », affirme sa collègue Clotilde*. « C’est toujours en fonction de ses envies et de ses caprices. C’est très compliqué de bosser avec lui », soupire un technicien.
« Je n’ai jamais eu directement de problème avec les employés, jamais », assure l’intéressé qui se défend de n’être « jamais colérique ». Au sein même du Créa, les salariées et ex-salariées – l’association n’emploie qu’un homme à part le directeur – racontent pourtant des conditions de travail douloureuses et disent vivre avec le sentiment « d’être poussées à bout », parfois jusqu’au burn-out.
À l’embauche, toutes sont très enthousiastes. « Il nous vend du rêve, nous arrivons jeunes, c’est souvent un premier poste, c’est gratifiant de se dire que nous allons travailler pour des festivals prestigieux », raconte Marie*. Mais elles déchanteraient rapidement. « Il est très impulsif. Lorsque quelque chose ne lui plaît pas, il peut vous hurler dessus, témoigne Laura*. Il prend toujours soin de laisser la porte ouverte afin que les autres entendent pour qu’elles craignent qu’il leur arrive la même chose ». Les descriptions d’un comportement fait « d’emprise », « d’humiliations » et de « dénigrements » reviennent dans la bouche de toutes les salariées et ex-salariées interrogées. « Il dit toujours quelque chose de gentil, pour mieux démolir après », témoigne Céline*.
René Martin affirme « avoir une philosophie : s’il y a du stress, ça ne peut pas fonctionner. » Ce que contredisent ses appels et messages incessants aux employés, sept jours sur sept, de jour comme de nuit, même durant les vacances. « Il est capable de vous appeler n’importe quand, ce qui nous empêche de décrocher et d’avoir de véritables pauses », confie Alice*. Toutes racontent aussi la peur de poser leurs congés. « Il nous fait toujours culpabiliser, nous met la misère avant le départ et au retour… C’est toujours dans ces moments qu’il nous sollicite le plus, comme si nous n’avions pas le droit de nous reposer », déplore l’une d’elles.
Petits cadeaux et coups de sang
Pourtant, la structure connaît très peu de départs. « La moitié de l'équipe est là depuis dix à douze ans. Vous avez même des gens qui sont là depuis les débuts. S'il y avait de vrais soucis [ces salariées] ne seraient plus là », se défend René Martin, qui réfute tout problème de management. « Je n’ai jamais dans mon comportement cherché à humilier qui que ce soit », affirme-t-il.
Pourquoi si peu de turn-over ? Toutes les sources décrivent une emprise, une prise de conscience tardive du caractère systémique de ce « management humiliant » et la honte de l’avoir accepté. « Nous sommes de bons petits soldats. Je ne parle presque jamais de ce que j’ai vécu, mais quand je le raconte à des proches, beaucoup ne saisissent pas l’ampleur du traumatisme », murmure Sabine*. Le directeur artistique compenserait avec des moments de répit et des attentions. René Martin fait aussi de jolis cadeaux, comme proposer à l’une de l’accompagner en voyage au Japon dans le cadre de La Folle Journée Tokyo, ou offrir à l’autre une bonne bouteille de vin.
En public, il encense plutôt. « J'ai une équipe formidable », répète-t-il à plusieurs reprises à La Lettre du Musicien et Mediacités, qu’il a reçus dans ses...
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