La région Auvergne-Rhône-Alpes, que préside Laurent Wauquiez, a brutalement coupé les subventions jusqu’ici accordées à de nombreuses institutions. Une décision qui provoque la stupeur sur le terrain, et menace notamment l’accès à la culture des lycéens.
Quand la culture est prise en otage dans des règlements de compte politiques, quand elle devient un enjeu idéologique, le pire est à craindre et tout le monde finit par y perdre : les artistes, le public, et les lieux de culture. C’est pourtant ce qui est en train de se passer dans la région Auvergne-Rhône-Alpes où, sous couvert d’un rééquilibrage entre les métropoles et les « territoires qui en sont le plus éloignés », le président (LR) du conseil régional, Laurent Wauquiez, assèche une partie des subventions dont bénéficiaient des institutions phares de Lyon et de Grenoble, villes dirigées par des majorités écologistes et socialistes.
Au fil des jours, la liste ne cesse de s’allonger. La Villa Gillet, organisatrice du festival Littérature Live qui débute le 16 mai ; l’Opéra de Lyon, la Biennale d’art contemporain, la Comédie de Saint-Étienne, le Festival Lumière ou encore le TNP de Villeurbanne (que le label de « capitale française de la culture 2022 » n’a pas plus protégée que les autres) ont été les premiers touchés. Et ce n’est pas fini. D’autres sont dans le collimateur. À Grenoble : la maison de la culture (MC2) est doublement pénalisée par une baisse de 120 000 euros de sa subvention de fonctionnement et de 100 000 de sa subvention d’investissement ; le Centre chorégraphique national perd 30 000 euros ; et l’Observatoire des politiques culturelles, 60 000. À Lyon : la Maison de la Danse (entre 80 000 et 180 000), le Musée urbain Tony Garnier (35 000) sans compter plusieurs théâtres. Ceux de la Croix-Rousse, Nouvelle Génération, du Point du Jour et Les Subsistances attendent d’être fixés sur leur sort.
Partout c’est la stupeur. Nul ne s’attendait à de telles annonces, surtout en mai quand toutes les programmations de l’année sont bouclées. Il n’y a eu ni concertation, ni signe avant-coureur donné par les représentants du conseil régional, présents dans la plupart des conseils d’administration de ces établissements. Et pour cause, eux non plus ne savaient rien, accréditant la thèse que tout s’est décidé dans le cercle étroit du cabinet du président du conseil régional. Alors, partout, c’est l’incompréhension et la colère. Sur la méthode. L’existence de ces coupes a souvent été révélée dans la presse ou au détour d’un couloir. La Région n’a fourni aucun retour aux multiples demandes d’explications. Surtout, personne ne comprend cette logique d’arbitrages si tardifs dont les conséquences sont manifestement le cadet des soucis de ceux qui les ont effectués.
Méconnaissance du mode de fonctionnement des institutions culturelles ou cynisme ? Le résultat, en tout cas, est là. « Nous sommes une structure associative, la Région vient de signer notre arrêt de mort. Si elle ne revient pas en arrière, nous fermerons fin juin », assène Catherine Chambon, la directrice du Musée urbain Tony Garnier, consacré au célèbre architecte lyonnais. Toutes les situations ne sont heureusement pas aussi précaires mais ces baisses font mal. Car les niveaux de fréquentation n’ont pas toujours retrouvé leur étiage d’avant la pandémie et l’augmentation des coûts de l’énergie pèsent sur les budgets des plus grosses structures. Il faudra faire des choix. Le montant de la subvention de fonctionnement supprimée « correspond au coût du tiers de la production de l’automne », a calculé Arnaud Meunier, le directeur de la maison de la culture de Grenoble. Au TNP de Villeurbanne, cela touche deux spectacles de la saison. Pierre Martinez, le directeur de la Maison de la Danse, anticipe un déficit en fin d’année. « Tous les spectacles de la programmation d’automne sont signés et engagés. Je ne peux plus rien annuler. » En bout de chaîne, les artistes trinqueront.
Calcul électoral
Le silence de la Région nourrit toutes les inquiétudes. Celle-ci campe sur sa justification initiale de « consacrer une partie plus importante du budget culture pour favoriser les initiatives et les projets auprès des habitants éloignés des grandes institutions culturelles, comme les festivals portés par de petites associations constituées de bénévoles ou par des conventions d’éducation artistique et culturelle permettant un travail au plus près des habitants sur des territoires enclavés ». C’est méconnaître l’action de la Villa Gillet, de l’Opéra ou de la Biennale, en direction précisément de ces publics. D’autant que cette réorientation laisse pendantes bien des questions auxquelles la Région ne répond que par des généralités. Rien sur les choix opérés pour réduire ou supprimer ces subventions entre les différents lieux de culture. Rien sur la pérennisation ou non de ces coupes. Rien, surtout, sur ces projets culturels auxquels l’argent économisé devrait être affecté.
Une attitude qui interroge sur les raisons profondes de ces choix et provoque l’ire de l’opposition. « Nous doutons fort que la politique culturelle de la Région soit réellement conduite avec des critères transparents de rééquilibrage, les décisions d’octroi de subventions semblant plutôt relever en permanence de l’arbitraire, voire du clientélisme », dénoncent les élus écologistes et de gauche dans une virulente lettre ouverte rendue publique le 11 mai. « Vos décisions ne sont compréhensibles qu’à la lumière de votre hargne vis-à-vis des responsables politiques écologistes et de gauche de Lyon et Grenoble. » Ce sentiment d’un règlement de comptes entre deux camps politiques que tout oppose est largement partagé. « Il y a une géographie de ces coupes budgétaires très congruente avec celle de l’adversité politique de Laurent Wauquiez », euphémise le dirigeant d’une institution culturelle. Beaucoup soulignent aussi le souhait du président de Région de sortir des financements croisés des lieux culturels pour n’en favoriser que quelques-uns, comme le musée des Tissus à Lyon. Et en tirer seul un prestige personnel.
La culture réduite au patrimoine et à la mémoire
La dimension politique de cette réorientation budgétaire est également dans toutes les têtes. Le moment choisi pour l’annoncer au lendemain de la présidentielle, et juste avant les législatives, n’a rien d’anodin. Si les politiques culturelles n’ont pas d’impact sur le plan électoral, elles peuvent être utiles pour envoyer des signes à ses électeurs. Laurent Wauquiez appuie sur les leviers les plus clivants : la ville contre la campagne, les petits opérateurs contre les gros, une culture « élitiste » contre une culture « populaire ». Son message politique, dont la vocation déborde largement la région Auvergne-Rhône-Alpes, conforte l’ancien président LR dans sa posture de leader national de la droite dure. Ce positionnement va de pair avec une posture idéologique de plus en plus affirmée, jusque dans la manière dont le conseil régional exerce sa compétence dans le domaine de l’éducation. À ce titre, il aide au financement de projets proposés par les lycées à l’intérieur de thématiques qu’il définit lui-même.
Pour l’année scolaire 2021-2022, elles étaient au nombre de six. Pour celle à venir, elles ont été réduites à quatre et renommées. La thématique « Culture et patrimoine » devient « Fier de son identité régionale, Mémoire et patrimoine ». Celle consacrée à la « Mobilité internationale » qui permettait de financer des voyages à l’étranger a disparu. « J’ai l’impression d’être enfermée dans la région et le champ lexical m’effraie un peu », confie une professeure, référente culture dans un lycée. À juste titre, le vocabulaire choisi n’est pas sans rappeler le programme présidentiel du Rassemblement national, qui avait réduit la culture à sa seule dimension patrimoniale et mémorielle. « On assiste à un repositionnement assumé de la politique culturelle menée par la Région qui se recentre sur son événementialisation et la volonté de revisiter les récits patrimoniaux en les ancrant dans une identité régionale », analyse un acteur culturel local.
Le Pass’ Région des lycéens soumis à une charte
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