
Le prix d’entrée aux principaux festivals de musiques actuelles (rap, pop, électro, rock) en France a augmenté de 60 % en dix ans, selon notre analyse. Pourtant, rares sont les structures à dégager des bénéfices.
Cent trente-cinq euros pour une journée au Hellfest, 94 euros pour Rock en Seine, 75 euros pour Garorock… Cette année encore, la saison des festivals de musique allégera un peu plus le portefeuille des spectateurs. Selon les données récoltées par Le Monde, le prix des billets pour les principaux festivals français de musiques actuelles (rap, pop, électro, rock) a crû en moyenne de 60 % ces dix dernières années. Une augmentation qui va bien au-delà de l’inflation constatée au cours de la même période (19,8 %, d’après l’Institut national de la statistique et des études économiques).
Notre analyse de treize événements pouvant accueillir plus de 30 000 festivaliers par jour montre une réalité disparate, où certains, comme We Love Green (Paris), Cabaret vert (Charleville-Mézières) ou Rock en Seine (Paris), ont plus ou moins doublé leurs prix, quand d’autres, tels que Les Vieilles Charrues (Carhaix, Finistère) ou Musilac (Aix-les-Bains, Savoie), n’ont augmenté que légèrement.
Pour autant, cette envolée tarifaire ne s’est pas accompagnée d’une plus grande rentabilité pour les organisateurs. Selon les données du Centre national de la musique portant sur 85 festivals de musiques actuelles et de variétés, les deux tiers enregistraient un déficit en 2023. Pire, 33 % des festivals affichaient un résultat négatif, en dépit d’un taux de remplissage supérieur à 90 %.
« Il n’y a pas beaucoup de secteurs d’activité où vous prenez autant de risques avec une marge aussi faible », insiste Malika Séguineau, directrice générale d’Ekhoscènes, syndicat patronal représentant 136 festivals privés. Malgré les 250 000 spectateurs reçus durant quatre jours en juillet 2024, Les Vieilles Charrues – l’un des plus grands festivals de France avec le Hellfest (Clisson, Loire-Atlantique) et Solidays (Paris) – ont ainsi enregistré un déficit de 1 million d’euros, de l’aveu même de son directeur, Jérôme Tréhorel.
Tous les acteurs du secteur mentionnent un accroissement de leurs charges bien supérieur à l’inflation. Au sortir de la pandémie de Covid-19, marquée par la quasi-mise à l’arrêt de la musique live, les coûts ont augmenté. Entre 2019 et 2022, le Centre national de la musique avait évoqué une très forte hausse des prestations techniques (+ 134 %). Outre les frais inhérents à la location, au transport du matériel et à l’énergie, l’ensemble des structures doivent faire face aux risques liés au changement climatique. « Il y a dix ans, on ne se posait pas ces questions. Mais la multiplication des aléas climatiques génère une hausse des coûts d’assurance et peut demander de nouveaux investissements pour adapter les sites », remarque Mme Séguineau. Par ailleurs, un épisode caniculaire ou orageux freinera une partie du public, qui aurait pu acheter des billets au dernier moment.
L’explosion des cachets artistiques
Cependant, la hausse du prix d’entrée reflète surtout l’explosion des montants des cachets des artistes, qualifiée d’« indécente » par le patron des Vieilles Charrues ou encore de « spéculative » par le Syndicat des musiques actuelles (SMA). « En 2009, le cachet versé à Bruce Springsteen pour sa venue aux Vieilles Charrues avait fait beaucoup parler : 1 million d’euros pour un artiste, c’était du jamais-vu pour un festival français. Aujourd’hui, c’est quasiment monnaie courante pour une tête d’affiche », déplore Stéphane Krasniewski, président du SMA, qui représente plus de 160 festivals indépendants. « Le coût de programmation pour une journée de festival à Rock en Seine a plus que doublé entre 2015 et 2025 », observe, pour sa part, le directeur du festival francilien, Matthieu Ducos.
Or, c’est bien la présence de têtes d’affiche qui pousse la plupart des spectateurs à acheter des billets, surtout quand la programmation des festivals tend à s’homogénéiser. La présence – unique en France – de la chanteuse et compositrice britannique de l’hyperpop Charli XCX à We Love Green, samedi 7 juin, a ainsi permis au festival parisien de vendre tous ses billets pour la journée plus d’un mois avant l’événement, ce qui n’était pas le cas des deux autres jours. « Nous avons signé pour sa venue au moment de la sortie de Brat [son album, paru à l’aube de l’été 2024, qui l’a propulsée au rang de pop star] », expliquait au Monde, début juin, Emmanuel de Buretel, patron de la maison de disques Because Music et coproducteur de We Love Green. « A l’époque, son cachet était abordable. Il le serait beaucoup moins aujourd’hui », relevait-il.
Ce phénomène prend sa source dans la crise du disque apparue au début des années 2000. Autrefois majoritairement rémunérés par les ventes d’albums, la plupart des artistes souffrent d’un modèle nettement moins lucratif du fait des plateformes de streaming. Dans ce contexte, les tournées en viennent à représenter la principale source de revenus des artistes, qui doivent jouer davantage ou demander une rétribution plus importante, selon leur cote.
Une concurrence accrue
En parallèle, les subventions consacrées à la culture – dont dépendent de nombreux festivals – n’ont pas eu tendance à suivre l’inflation. Elles vont même baisser en 2025 dans la plupart des régions, comme le déplorait, en avril, le SMA.
Aux Vieilles Charrues, un festival associatif ne recevant aucune subvention, on refuse de répercuter la hausse des coûts sur la billetterie. En dix ans, Jérôme Tréhorel est l’un des rares à n’avoir revalorisé ses prix qu’au niveau de l’inflation, mais il reconnaît pouvoir se le permettre grâce à une capacité d’accueil hors du commun : 60 000 billets à vendre par jour, sur quatre jours. « Notre but est d’avoir le billet le moins cher possible, accessible, et l’on y arrive aussi grâce aux mécènes et aux partenaires », confesse-t-il.
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