
Politologue et spécialiste des politiques culturelles (CNRS, université de Montpellier), Emmanuel Négrier dresse plusieurs constats à la lumière de la crise des politiques culturelles. Il analyse les perspectives à étudier pour en sortir.
Cette crise du secteur culturel est-elle essentiellement budgétaire ?
Précisons d’abord que les dépenses culturelles comptent pour très peu dans le déficit chronique de la France. Si on considérait que toutes les dépenses culturelles de l’État sont déficitaires – c’est-à-dire sans prendre en compte les recettes qu’engendrent ces dépenses -, la culture représenterait 2% du déficit total. Ce qui donne une idée de la modicité de la réponse par la culture à la question du déficit budgétaire de la France.
N’oublions pas non plus que le déficit français remonte à plusieurs décennies, et qu’il y a toujours eu néanmoins des politiques culturelles, avec un relatif consensus. Comme dans tout domaine à compétence facultative, l’ampleur, le périmètre et les orientations des politiques culturelles dépendent de l’engagement des élus. Or, on constate aujourd’hui un moindre engagement de certains élus.
De plus, l’intensité des baisses des dépenses culturelles est différente selon les échelons de collectivités, et au sein d’un même échelon. Prenons le cas des départements : certains coupent fortement le budget de la culture, d’autres le préservent, et d’autres encore l’augmentent. Cette même situation différenciée vaut pour les régions. Quant au bloc local, son repli est beaucoup moins évident. On ne peut donc pas parler d’effondrement des politiques culturelles.
Comment expliquer que le bloc local taille moins dans ces dépenses culturelles ?
Comparé aux autres échelons, le bloc local joue un rôle bien plus important dans le financement de la culture. Il est beaucoup plus impliqué dans la gestion d’équipements. Il est dans une plus grande proximité avec les milieux culturels. Cela conduit les élus à regarder différemment la question de la légitimation par la culture ou l’envie éventuelle de balayer des financements.
Enfin, en année pré-électorale, baisser les dépenses culturelles risque d’affecter la légitimité des élus municipa
Quelles réflexions cette crise vous inspire-t-elle ?
En étudiant les festivals, j’ai fait plusieurs constats qui peuvent s’appliquer plus largement aux différents champs culturels et qui montrent un paradoxe qu’il convient de prendre en compte. Il existe, certes, un moindre enthousiasme de certains élus pour les politiques culturelles. Pourtant, l’appétence sociale pour la culture ne faiblit pas, et les publics se renouvellent.
De plus, dans une société qui a tendance à se fragmenter, la culture offre une piste en tant que telle pour faire société. Enfin, l’impact territorial des initiatives culturelles va croissant, avec une localisation des équipes et de leurs stratégies d’approvisionnement. Les baisses de subventions ont d’ailleurs un impact significatif sur l’emploi, notamment pour la myriade d’associations aujourd’hui en danger. Une autre piste de réflexion à creuser est que la culture peut répondre à des enjeux qui dépassent le seul secteur culturel.
C’est-à-dire ?
Prenons l’exemple de la transition écologique. Les festivals peuvent être vertueux en mutualisant leurs équipements, en renonçant au plastique, etc. Ils peuvent aussi faire vivre cet impératif de transition, l’expliciter, le transmettre au public d’une autre manière.
Cette capacité-là, celle des artistes aussi, est insuffisamment utilisée par rapport aux grands discours publics ou à l’imposition abrupte de critères écologiques. C’est une logique qui fait sortir l’art d’une espèce d’autoréférence afin de manifester son importance pour la société.
Voyez-vous d’autres champs de réflexion ?
Oui, la participation des citoyens, un sujet qu’il faut néanmoins aborder avec prudence. Il s’agit de revenir sur le modèle de politique culturelle à la française qui, en dépit de tous les discours officiels, est encore largement influencée par une logique de démocratisation culturelle descendante. Une politique culturelle publique n’est pas la même chose qu’une politique pour le secteur culturel.
Prêtons attention à la manière dont certains projets culturels de territoire se développent avec des spectateurs invités à participer à des aventures artistiques et culturelles. Il existe là des perspectives pour relégitimer les politiques culturelles, pour leur apporter des soutiens qu’on ne voit aujourd’hui que dans les petits festivals ruraux fondés sur l’unique énergie des bénévoles.
Ce sont des perspectives qui pourraient permettre d’élargir les publics de la culture, dont on sait qu’ils restent marqués par des différences sociales assez importantes.
Professionnels de la culture et élus se parlent-ils suffisamment ?
Il y a un déficit de dialogue entre les élus et les acteurs culturels. C’est une difficulté qui renvoie à la crainte d’une instrumentalisation politique. Ce déficit s’explique sans doute par l’absence d’un véritable espace de dialogue.
Pendant longtemps, cet espace de dialogue se trouvait dans l’attention que portaient les partis politiques aux enjeux culturels.
Par ailleurs, la professionnalisation du secteur culturel a pu avoir par le passé un effet d’intimidation des élus en charge de ces dossiers. Et, jusqu’à présent, les professionnels ont pensé que le...
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