Après le traumatisme de l’attaque terroriste, il était difficile pour beaucoup d’y assister à un spectacle. Désormais, le Bataclan a une stratégie, qui attire le public amateur de rock et de métal.
La nuit est en train de tomber, mais on peut encore distinguer les tee-shirts de la foule qui se presse le long du trottoir, sur des dizaines de mètres. Aux logos chamarrés, on reconnaît des fans de Gojira, Landmvrks, Loudblast. Ce 9 octobre, au Bataclan, on vient pour la première cérémonie des Foudres, les « Victoires de la musique » du metal français. Dans la file, un garçon demande à sa copine depuis combien de temps elle n’est pas venue dans la salle parisienne du 11e arrondissement. À quelques mètres d’eux, sur une plaque de marbre vissée au mur, on peut encore lire malgré la faible luminosité : « En mémoire des victimes assassinées et blessées en ces lieux le 13 novembre 2015 ». Forcément, en attendant de passer la fouille méticuleuse des équipes de sécurité, difficile de ne pas penser aux quatre-vingt-dix spectateurs qui périrent ici, lors d’un concert des Eagles of Death Metal, sous les balles des terroristes.
Après les attentats, la question s’était rapidement posée : que faire d’une salle si tragiquement endeuillée ? Dès décembre, les deux dirigeants de l’époque, Jules Frutos et Olivier Poubelle 1, affirment au Monde qu’il est « nécessaire de revoir les portes ouvertes. Les équipes veulent une reconstruction, les artistes aussi. […] Mais ce sera un long chemin de croix ». « Tout le monde était d’accord pour que la salle reprenne dès que possible, et toujours dans la tradition du spectacle, se souvient Daniel Habrekorn, dont la famille est propriétaire des murs depuis trois générations. Certains voulaient y créer un musée, d’autres trouvaient que refaire des concerts, c’était trahir la mémoire des victimes. Mais c’était une absurdité : il fallait au contraire que la fête recommence. »
En février 2016, Lagardère, qui possède alors 70 % de la société d’exploitation du Bataclan, annonce donc de grands travaux de rénovation (financés principalement par les assurances), avec l’objectif d’une réouverture avant la fin de l’année. L’ensemble du bâtiment (inauguré en 1865 et classé en partie au titre des monuments historiques) est concerné : toit, façade, intérieur de la salle, loges, sanitaires… Et évidemment, le système de sécurité est entièrement repensé. Le 12 novembre de cette même année, c’est dans ce Bataclan refait « à neuf » que Sting demande aux spectateurs une minute de silence, avant de faire enfin résonner à nouveau les premières notes de musique. Peter Doherty, Youssou n’Dour ou encore Marianne Faithfull lui succèdent les semaines suivantes. Mais l’enthousiasme des premiers jours ne suffit pas à remplir la salle.
La photographe Marion Ruszniewski, blessée d’une balle dans le ventre lors du concert des Eagles of Death Metal alors qu’elle travaillait, a eu le courage de retourner très vite au Bataclan. Durant ces premières années après la réouverture, elle a le souvenir « d’ambiances rarement folles » et de jauges loin d’être complètes — seule exception, pour elle, un concert « super joyeux », celui des Américains Flaming Lips, qui, à coups de ballons gonflables et de serpentins, font chavirer les spectateurs. Dans ce contexte morose, Olivier Poubelle et Jules Frutos revendent leurs parts à Lagardère à l’été 2018. Mais les difficultés, pour attirer artistes et public, demeurent. Début janvier 2020, la nouvelle et actuelle directrice, Florence Jeux, tire la sonnette d’alarme devant les professionnels réunis à Nantes, aux Biennales internationales du spectacle : « On est passés d’environ 150 concerts par an avant 2015, à seulement 80, 90 concerts aujourd’hui. Ce qui ne suffit pas pour envisager l’avenir de manière pérenne. » Elle ne sait pas encore que l’épidémie de Covid va bientôt obliger le Bataclan à fermer pour de longs mois…
Un lieu vivant plutôt qu’un sanctuaire
En juin 2020, Lagardère annonce se séparer des salles de son pôle spectacle mais peine à trouver un repreneur ; le groupe est d’ailleurs toujours propriétaire du Casino de Paris et des Folies Bergère. C’est finalement la Ville de Paris qui rachète l’année suivante le Bataclan pour 1,4 million d’euros, en association avec le producteur AEG, qui prend une part minoritaire. « Il s’agit d’adresser un message fort aux Parisiens avec l’acquisition d’une salle de spectacle éminemment symbolique et chargée d’histoire, dans un contexte où la Culture nécessite plus que jamais le soutien des pouvoirs publics », justifie à l’époque la maire Anne Hidalgo. « Nous avons une double exigence : conserver un esprit très libre, dans la lignée de la programmation transgressive qui a fait l’identité de la salle, tout en restant respectueux de la mémoire de celles et ceux qui ont été tués », précise aujourd’hui Lamia El Aaraje, adjointe à la Mairie de Paris et présidente de la société d’économie mixte qui exploite le Bataclan (ainsi que l’Accor Arena et l’Adidas Arena).
Cette liberté se retrouve dans une programmation largement réorientée sur le rock, voire le metal. « Nos efforts sont intensifiés pour être identifié sur cette scène-là », nous expliquait début octobre le directeur délégué du Bataclan, Arnaud Millard. Et selon lui, cela porte ses fruits : les groupes ne rechignent désormais plus à venir jouer, et la salle, qui a fait plus de 250 000 euros de résultat net en 2024 après plusieurs années de déficit, accueille désormais cent vingt concerts dans...
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