«Verticalité dictatoriale», «mise en insécurité», «humiliations»... Plusieurs collaborateurs de la radio publique dénoncent le management de Sandrine Treiner et de certains de ses adjoints. Quatre signalements ont été effectués pour harcèlement moral depuis le début de l’année.
«Le malaise est énorme.» Lorsque l’on interroge cette figure d’antenne de France Culture sur l’ambiance qui règne au sein de la chaîne des idées et du savoir de Radio France, le constat fuse, brutal : «Les gens sont maltraités, essorés et tristes. Et d’autant plus car c’est une chaîne où l’on vient par ambition intellectuelle et humaniste, et dont certains repartent dégoûtés», explique cette voix bien connue, qui ne souhaite pas être nommée. Et de poursuivre : «A l’antenne, on prône l’horizontalité et la délibération ; en interne, on a affaire à une verticalité dictatoriale, avec une omni-directrice.»
Vu de l’extérieur, tout va bien à France Culture : le succès de la station dirigée depuis 2015 par Sandrine Treiner ne se dément pas, les résultats d’audience progressent. Mais derrière cette façade resplendissante, la réalité en interne est beaucoup moins reluisante, selon une vingtaine de personnes interrogées par Libération et qui ont en grande majorité requis l’anonymat. Depuis deux ans, France Culture connaît une vague de départs qui touche presque tous les métiers de la maison : producteurs d’émissions (c’est-à-dire les présentateurs) et attachés de production, journalistes et employés administratifs (notamment aux services communication et ressources humaines), jusqu’aux cadres de haut niveau.
Ce roulement va au-delà du renouvellement naturel d’une entreprise. Surtout, il s’effectue dans des conditions qui interpellent, avec une multiplication des arrêts de travail (dont ceux, qui ont marqué en interne, de l’ex-directrice de la communication et de l’ex-déléguée aux ressources humaines et à la gestion, toutes deux membres du comité de direction), de procédures aux prud’hommes et d’alertes adressées à la médecine du travail. D’après nos informations, au moins quatre signalements, portant des accusations de harcèlement moral et visant la direction de la chaîne, ont été effectués depuis le début de l’année. Ils ont été adressés à Estelle Trégouët, responsable de la qualité de vie au travail à Radio France, qui les a fait remonter à la présidente de Radio France, Sibyle Veil. Le dernier, qui date du 8 septembre, émane de la propre assistante de Sandrine Treiner.
A l’intérieur de l’entreprise publique, la situation est parfaitement connue. «Nous le disons dans les instances représentatives : attention à France Culture, reconnaît Bertrand Durand, élu central CGT. Il y a peu de place au débat, alors que Culture, c’est la place du débat. Nous avons alerté le directeur des ressources humaines de Radio France.» Sous couvert d’anonymat, un autre élu du personnel confirme : «Nous avons été sollicités de nombreuses fois sur des cas de harcèlement au travail. Mais c’est difficile de déclencher une alerte en bonne et due forme car ceux qui nous sollicitent ne veulent pas apparaître. Il y a une vraie terreur.»
«Ce n’est pas la Corée du Nord, mais c’est un régime très autoritaire»
Que se passe-t-il ? La plupart des témoignages recueillis mettent en cause le despotisme de Sandrine Treiner. Ils décrivent une patronne travailleuse et intellectuellement brillante, mais qui a aussi centralisé à l’extrême le pouvoir de décision dans la chaîne, ne supportant pas la moindre contestation, vivant chaque remarque ou refus comme une trahison. Résultat : les équipes vivent dans un climat permanent d’insécurité et d’arbitraire. «Ce n’est pas la Corée du Nord, mais c’est un régime très autoritaire, observe un ancien de la maison, parti l’an dernier de son propre fait. Sandrine a des velléités de contrôle absolu sur ce qui se passe. Comme elle ne sait pas s’entourer de gens lui apportant la contradiction, elle n’a plus que des courtisans autour d’elle.» A côté de la patronne aux pleins pouvoirs, deux dirigeants de Culture attirent aussi les reproches : le directeur des programmes, Jean Beghin, et le délégué à la production et l’antenne, Jean-Marc Claus. Sollicitée par Libé, Sandrine Treiner n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Un constat très partagé veut que le dialogue avec ces quelques chefs soit devenu impossible. «Dans les réunions du lundi ou du mercredi, qui rassemblent les équipes de la chaîne, plus personne ne parle, tout le monde attend que cela passe et sort en levant les yeux au ciel. Ce sont des longs monologues d’une heure de Sandrine Treiner, puis les membres de la direction parlent vingt minutes et on a le droit à deux ou trois questions à la fin. Mais si tu dis un truc contraire à la ligne officielle, tu te fais dézinguer. A Culture, il y a un climat de résignation très important», analyse un producteur qui a dû quitter la chaîne l’an dernier, non reconduit à l’antenne.
Une histoire interne est érigée par beaucoup en symbole : à la fin de la saison 2018-2019, lors d’une réunion dédiée, les attachés de production de l’émission quotidienne d’économie ont été invités par la directrice à formuler des remarques et des suggestions sur le programme. Ils ont parlé librement. Et ont été écartés dans la foulée. «C’est un système de violence et de soumission, qui neutralise par la peur», affirme une personne ayant exercé des fonctions d’encadrement à France Culture. «Le ton permanent, c’est de dire aux équipes qu’elles racontent des conneries, qu’elles doivent tout à France Culture, que c’est le plus bel endroit du monde et qu’elles ont de la chance d’y travailler, constate l’élu du personnel cité plus haut. Tu n’es qu’une petite main, jamais ton savoir-faire n’est reconnu.» Une attachée de production parle de «politique de dénigrement généralisé».
Selon la plupart des témoignages, ce climat peu propice à l’échange est nourri au quotidien par des brimades, vexations et représailles exercées par les dirigeants déjà nommés. «On se prend des roustes. Il y a beaucoup d’humiliations, en public, en petit comité, en privé», résume une personne qui a figuré en haut de l’organigramme jusqu’à l’année dernière. Nombreux sont ceux qui...
Lire la suite sur liberation.fr