En guerre contre les sites, blogs et réseaux de téléchargement illégaux, l’industrie musicale peut compter sur une baisse des vieilles pratiques, mais de nouvelles voient le jour.
Le jeu du chat et de la souris, on connaît. Sauf que depuis l’émergence d’internet, les souris des ordinateurs se comptent par milliards, certaines ayant tendance à télécharger illégalement albums et chansons. Quant au chat de l’industrie musicale française, il tente de lutter contre le phénomène depuis une vingtaine d’années, aidée d’un côté par l’action de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) créée en 2009, de l’autre par l’adoption en pente douce par le public des offres de streaming légales. Pour autant, la pratique illicite perdure sous de nouvelles formes, face auxquelles la chasse aux souris indélicates tente de s’adapter.
Selon l’étude de l’Ifpi (Fédération internationale de l’industrie phonographique) sur les usages de 43 000 personnes dans 21 pays, près d’un tiers des sondés avoue avoir utilisé des méthodes illégales pour s’adonner à l’écoute de musique. En la matière, la France tient le rythme. «Le développement de l’usage du streaming légal a ringardisé le piratage. Pour autant, ce dernier n’a pas disparu», prévient Alexandre Lasch, directeur du Syndicat national de l’édition phonographique. Bien que toujours pratiqué, le piratage a changé de visage. «9% des internautes consomment de la musique de manière illicite, soit 19 % des mélomanes, un taux en augmentation par rapport à 2020. Ceci peut s’expliquer par un report de certains usages culturels physiques vers des pratiques en ligne, en raison de la fermeture des salles de spectacle en 2020. Cela peut expliquer une hausse des abonnements aux offres de streaming musical, mais également de la consommation illicite pour ce secteur, qu’il convient donc de suivre dans le temps» prévient une autre nouvelle étude, celle-ci menée en France par l’Hadopi.
Profondeurs du classement
Jusque-là, deux techniques se complétaient. D’un côté, les réseaux pair à pair (ou P2P pour peer-to-peer) connectent des ordinateurs entre eux pour mettre à disposition et récupérer des fichiers, à l’instar de services comme la première version de Napster ou Soulseek. A l’inverse, par la technique du téléchargement direct, le fichier musical est stocké sur un service d’hébergement accessible par un lien depuis un blog ou un site. «En dix ans, la situation s’est améliorée, constate Pauline Blassel, secrétaire générale de l’Hadopi. De 12 millions d’utilisateurs, le piratage en pair à pair est passé à 3 à 4 millions aujourd’hui. Il est devenu minoritaire par rapport au téléchargement direct.» Entre-temps, l’Hadopi a sévi à travers son dispositif de riposte graduée, qui démarre par l’envoi d’avertissements, suivis si nécessaire d’une transmission du dossier à l’autorité judiciaire. Dans tous les cas, chaque œuvre se balade sous forme de fichiers MP3 qu’Hervé Lemaire et ses équipes traquent inlassablement depuis 2006. «A l’époque, je voyais les actions menées par l’Hadopi mais aussi celles qui n’étaient pas menées, comme sur le téléchargement direct», explique le fondateur de LeakID, société spécialisée dans la surveillance et la protection des œuvres sur le Net, qui revendique l’intégralité de la filière musicale française comme client. C’est à tous les services illégaux qui fleurissent que LeakID a mené, et mène encore, une guerre inlassable, comme contre le blog Israbox.
«Nos actions l’ont obligé à changer 17 fois de nom de domaine en deux ans, jusqu’à tomber aujourd’hui dans les profondeurs des classements», se réjouit Hervé Lemaire. Dans ce combat, Google devient un allié de poids en supprimant de ses recherches les sites illégaux. «Au total, c’est plus de 600 millions de liens que nous avons notifiés à Google, dont 24 % avant même qu’ils n’y soient référencés», un chiffre qui s’explique grâce à des opérations directement commandées par des maisons de disques pour protéger certaines sorties. Des mesures préventives que prend ainsi le label indépendant berlinois !K7 dont le dernier mix DJ-Kicks du duo house anglais Disclosure, mis en ligne illégalement avant sa sortie officielle, est resté en ligne moins d’une journée grâce à un concurrent de LeakID, l’anglais Leak Delete.
«Nous travaillons avec eux sur nos sorties prioritaires, explique Christophe Mauberqué, label manager de !K7. On les informe en amont de telle sortie qu’ils scannent sur les hébergeurs. C’est grâce à leurs relations avec ces services qu’ils sont aussi rapides. Un album est généralement enlevé dans l’heure, sinon en 24 heures maximum. C’est notre manière de taper du poing sur la table, de montrer que c’est une pratique illégale, et de défendre nos artistes qui ont travaillé dur.»
Entre le pair à pair, désormais réservé aux geeks acharnés, et une chasse aux blogs de mieux en mieux orchestrée, le piratage aurait donc dû fléchir. C’était sans compter avec de nouvelles techniques que détaille l’Hadopi dans son étude. «Des pratiques alternatives permettant d’accéder aux offres légales ou de contourner la loi se développent : 42 % des internautes ont recours aux outils de stream ripping pour télécharger de la musique, dont 16 % de manière hebdomadaire.» Le «stream ripping» consiste à générer instantanément le fichier MP3 d’une chanson à partir de sa version écoutable le plus légalement du monde en streaming, sur YouTube, Dailymotion ou Soundcloud. «C’est aujourd’hui la forme la plus répandue de violation des droits d’auteur dans le domaine de la musique en ligne», déplore l’Ifpi. Est-ce pour autant un exercice répréhensible ? Le flou règne puisqu’il ne l’est pas s’il est pratiqué à titre individuel, relevant alors de la copie privée. «Le problème vient des sites qui se mettent sur ce créneau pour une distribution quasi industrialisée», note Pauline Blassel.
Une meilleure traçabilité des professionnels en ligne
A l’heure du streaming et de la musique dématérialisée, le goût pour la possession d’un fichier laisse perplexe. On la pensait réservée à l’ancienne génération, celle aussi attachée au support physique de type CD ou vinyle. Or, ce serait majoritairement les jeunes qui s’adonnent au stream ripping, 35 % des 16-24 ans de l’échantillon de l’Ifpi. «C’est une pratique qui plaît aux jeunes consommateurs, un sur deux y a régulièrement recours», abonde Pauline Blassel. En parallèle, les statistiques montrent que ...
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