La rentrée culturelle est marquée par la nouvelle versatilité des spectateurs, qui ont tendance à choisir au dernier moment quels films ou quelles pièces de théâtre ils iront voir. Une tendance que les professionnels de la culture se doivent d’analyser, estime dans sa chronique Guillaume Fraissard, chef du service Culture du « Monde ».
Chronique. Il y avait foule, lundi 13 septembre, au Théâtre de la Bastille, à Paris, pour les Illusions perdues, mise en scène par Pauline Bayle. Pas un siège libre pour cette relecture moderne et passionnante du chef-d’œuvre de Balzac. Même affluence quelques jours avant, pour la reprise de La Mouche, drolatique et burlesque pièce de Valérie Lesort et Christian Hecq, aux Bouffes du Nord. Ambiance plus clairsemée, en revanche, pour la deuxième date de Madame Fraize, le nouveau spectacle de Marc Fraize, au Théâtre du Rond-Point, et sur d’autres scènes qui peinent à faire revenir leurs fidèles, notamment pour les créations. Dans les salles de cinéma aussi, les résultats sont contrastés. D’un côté de grosses machines qui font le plein – Dune, Bac nord, Kaamelott, La Pat’ Patrouille, Shang-chi – et dépassent facilement le million d’entrées, de l’autre, des films qui parviennent difficilement à franchir la barre des 300 000 spectateurs.
Il est trop tôt pour tirer les enseignements d’une rentrée culturelle sans jauge – mais avec passe sanitaire et masque –, moins anxiogène que celle de septembre 2020 alors que menaçait déjà la deuxième vague épidémique de Covid-19. Les salles de spectacle viennent juste de rouvrir, les musées démarrent leurs accrochages d’automne. Quant aux concerts, le retour à la normale prendra du temps. Septembre n’est traditionnellement pas le mois le plus propice au remplissage. L’arrivée des gros blockbusters culturels que sont la Collection Morozov, à la Fondation Louis Vuitton, et le nouveau James Bond, Mourir peut attendre, en salle le 6 octobre, pourrait servir de locomotives pour tout un secteur.
Un temps plus élastique
Une tendance semble toutefois se dégager. Echaudés par les déprogrammations en cascade depuis mars 2020, les spectateurs se décident de plus en plus tardivement à réserver leurs places. De nombreux responsables de salles ou de festivals témoignent ainsi de ce phénomène marqué de réservation à la dernière minute. Il y a bien sûr la crainte que le spectacle n’ait pas lieu, mais aussi celle de ne pouvoir venir si l’on est cas contact ou positif.
Plus largement, il y a ce nouveau rapport au temps induit par les périodes de confinement et de fermeture des lieux culturels. Un temps plus élastique, parfois plus contraint, donc peu propice aux projections lointaines. Si les concerts des grandes stars anglo-saxonnes, Dua Lipa et Billie Eilish en tête, à l’Accor Arena de Paris, sont complets de longue date, alors qu’ils n’auront lieu qu’en 2022, une manifestation comme le festival Jazz à La Villette n’a vu une bonne partie de son public réagir que dans les derniers jours.
Dans un mouvement similaire, certains établissements déplorent une baisse de leurs abonnements. Pourquoi s’engager sur une saison entière quand il y a tant d’incertitudes sur les jours à venir ? L’Opéra de Paris, fortement touché, depuis trois ans, par les grèves, les manifestations de « gilets jaunes » et le Covid-19, a ainsi vu la part des ses abonnements passer de 45 % à 25 %. Et ce n’est pas le seul établissement confronté à cette fuite de fidèles visiteurs.
S’ils devaient se confirmer et devenir phénomène durable, ces changements d’habitude ne seraient pas sans conséquences sur la culture à plus ou moins long terme. Ils vont d’abord obliger les lieux à revoir en partie leur communication et la manière de faire venir le public. En utilisant, par exemple, encore plus l’instantanéité des réseaux numériques pour convaincre les amateurs de spectacles vivants de...
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