
Julie Delille, l’artiste-directrice de l’institution créée par Maurice Pottecher, fête les 130 ans de ce lieu hors du temps. À l’affiche, le désopilant « Roi nu », d’Evgueni Schwartz.
Aller à Bussang, c’est aller chercher confirmation qu’un certain esprit de théâtre existe encore. Le Théâtre du peuple fête cette année ses 130 ans, ce n’est pas rien. Il faut avoir fait une fois dans sa vie le déplacement dans ce village des Vosges de 1300 âmes aux confins de l’Alsace et ce voyage peut ressembler à la préparation d’une campagne militaire. De Paris, départ gare de l’Est ou de Lyon, changement à Remiremont ou Wesserling, après quoi charmants lacets qui grimpent vers la plus haute commune de la Haute-Moselle, là où la rivière prend sa source.
D’après son journal, Montaigne écrit qu’il dîna à Bussang en 1580. A-t-il dégusté une tarte à la myrtille ? Notre philosophe n’a malheureusement pas vu le Théâtre du peuple qui fut donc créé par Maurice Pottecher en 1895. Entièrement de bois, ce théâtre a la particularité spectaculaire de pouvoir s’ouvrir sur l’arrière-scène, ce qui offre un décor naturel sylvestre et montagnard. C’est dans ce cadre merveilleux que les artistes amateurs et professionnels célèbrent l’anniversaire de ce théâtre - ô combien vivant - hors du commun avec cette injonction que l’on peut lire un peu partout dans la ville : « Jubilons ! »
Une démarche poétique
Succédant à Simon Delétang, la metteur en scène et comédienne opiniâtre Julie Delille dirige ce lieu depuis octobre 2023. Presque une évidence pour elle qui avait le sentiment d’avoir rendez-vous avec cet endroit au cœur des Vosges, une démarche poétique dans la lignée de son fondateur, Maurice Pottecher (1867-1960). On peut se recueillir sur sa tombe. « Le Padre », ainsi qu’on le surnommait, est enterré dans le parc ou plutôt il y est enraciné, comme planté dans cette terre pour l’éternité. Ici, tout respire l’esprit de troupe et plus encore, l’esprit de la forêt. Chaque arbre semble un être vivant, le bois respire, la sève coule dans les veines de chaque spectateur (Bussenet ou pas), de chaque bénévole (une centaine), de chaque comédien professionnel ou amateur. Diriger le Théâtre du peuple est un engagement fondé sur les relations humaines.
Cette année deux spectacles sont à l’affiche : Le Roi nu, d’Evgueni Schwartz, et Je suis la bête, d’Anne Sibran. Le Roi nu est une sorte de chef-d’œuvre hautement comique et corrosif de ce dramaturge russe un peu oublié. Le metteur en scène Sylvain Maurice a eu l’excellente idée de la monter dans une traduction de l’insatiable André Markowicz. Dans le rôle principal, celui du roi, un comédien hors pair : Manuel Le Lièvre. Dès qu’il apparaît sur la scène, la partie est gagnée. Il est impayable.
"Ce théâtre est un être vivant, il faut l’apprivoiser. J’ai l’impression de m’enraciner. Je crois que je vais devenir un arbre"
Sylvain Maurice, metteur en scène du « Roi nu »
Devant plus de 700 spectateurs de tous âges, Le Roi nu (écrit en 1934) n’a jamais été plus actuel. Inspiré de trois contes d’Andersen dont La Princesse au petit pois, la pièce dégage un souffle de soufre et d’hilarité. Schwartz est un auteur profondément burlesque ou burlesquement profond. Dès que l’on pénètre dans la salle (728 places exactement), dans les entrailles de ce grand vaisseau de bois, nous nous trouvons nez à nez avec ce fond de scène ouvert au tout début du spectacle, une fois n’est pas coutume, sur la nature, la forêt. Sylvain Maurice s’est installé à Bussang pour son spectacle début juin. Il dit : « Ce théâtre est un être vivant, il faut l’apprivoiser. J’ai l’impression de m’enraciner. Je crois que je vais devenir un arbre. »
Sous sa baguette, Le Roi nu devient presque une comédie musicale avec deux musiciens live. Dix-huit actrices et acteurs au plateau. Une vraie machine de guerre avec pour décor trois énormes escaliers blancs mobiles qui font leur effet. Des lumières narratives sorties d’un tableau. La salle est tout de suite conquise par l’arrivée de Henri (Mikaël-Don Giancarli), simple porcher, qui tombe raide amoureux de Henriette (Hélène Rimenaid), une princesse promise à un roi complètement cinglé, dictatorial et capricieux comme un enfant terrible. Henri et son ami Christian le tisserand (quel acteur ce Maël Besnard ! Tout en longueur, souplesse et rythme !) mettent au...
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