Le Bus Palladium, salle de concert et club, situé dans le quartier Pigalle à Paris, va bientôt être détruit pour laisser place à un hôtel, 57 ans après sa création. Artistes et public sont déjà nostalgiques de cette scène entièrement dédiée au rock, comme il n'en existe plus beaucoup en France.
Le 6 rue Fontaine, dans le quartier Pigalle à Paris, est une adresse mythique. C'est ici qu'il y a cinquante-sept ans, en 1965, James Arch et James Thibaut ont créé le Bus Palladium. Leur idée est simple. Ils veulent un lieu accessible aux jeunes, sans code vestimentaire imposé, tourné vers le rock'n'roll. L'un des seuls endroits à Paris où les jeans, bottes pointues et blousons en cuir étaient autorisés. Le bâtiment doit bientôt être détruit, pour laisser place à un hôtel. Pour le public et les artistes, c'est tout un pan de l'histoire du rock à Paris qui disparaît avec lui.
Très vite après son ouverture, le tout-Paris se presse au Bus Palladium : Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et les Chaussettes noires, et plus tard, Téléphone… Nombreuses sont les chansons qui y font référence. En 1966, Gainsbourg entonne dans "Qui est in, qui est out" : "Tu aimes la nitroglycérine ? C'est au Bus Palladium que ça s'écoute. Rue Fontaine, y'a foule, pour les p'tits gars de Liverpool !" La dernière référence en date est celle du groupe Brigitte, avec son titre "Palladium" : "Viens j't'emmène au Palladium, on boira du rock'n'roll sur des vieux hits à la gomme".
La "musique du Bus"
Au fil de son histoire, le Bus va connaître diverses ouvertures puis fermetures. Ainsi, à peine quatre mois après ses débuts, le Bus Palladium ferme une première fois raconte Cyril Bodin, l'actuel directeur artistique et programmateur. Le lieu continue par la suite d'être exploité mais le Bus ne rouvre réellement qu'en 1974, où il connaît à nouveau un grand succès. À la fin des années 1970, une fermeture administrative est prononcée en raison d'un meurtre qui a eu lieu entre les murs du Bus. Un homme, poursuivi par deux autres, s'y est réfugié avant d'être abattu. Le Bus rouvre fin 1979, une autre époque démarre : celle des influences californiennes. Nicolas Lespaule y fait alors quelques remplacements en tant que DJ.
"1980-1990 est une période très particulière pour le Bus. Les trois DJ [du Bus] vont essayer de trouver une programmation exclusive. Il n'y a pas de génération spontanée de disques, alors ils vont fouiller dans les magasins de disques parisiens notamment et ils vont tomber sur les "solders". Ce sont des gens qui achètent les disques au kilo, qui arrivent des États-Unis et dans ces bacs de plusieurs centaines voire milliers de vinyles, ils vont en sortir quelques-uns et construire un noyau de programmation qui va devenir la musique du Bus." Nicolas Lespaule, spécialiste musique
Une musique qui l'a tellement marqué que Nicolas Lespaule présentera durant trois ans sur la radio Ouï FM une émission hebdomadaire consacrée à la musique du Bus Palladium : "Ouï love le Bus", en 2009. De ses années au Bus Palladium, Nicolas Lespaule garde comme principal souvenir "d'avoir aimé, écouté et partagé cette musique. Ce qui me plaisait, ajoute-t-il, c'est que le Bus Palladium n'a jamais été un club privé. C'était un club de musique, on allait là-bas pour écouter de la musique et se retrouver entre personnes qui aiment la même musique".
"Une essence rock"
Au fil des ans, le Bus passe entre différentes mains et différents styles. Il renoue avec ses origines rock en 2010, avec l'arrivée d'un nouveau propriétaire Benjamin Patou et du directeur artistique et programmateur Cyril Bodin. L'extérieur se dote d'une façade blanche, surplombée par l'écriteau rouge "Bus Palladium" et l'intérieur accueille au rez-de-chaussée, la salle de concert et à l'étage, un restaurant-bar.
Au même moment, la troupe Airnadette voit le jour, une comédie musicale rock, un brin déjanté, dans laquelle les artistes font semblant de chanter et jouer de la musique. L'une des premières scènes du groupe a lieu au Bus Palladium, Airnadette y fait aussi sa résidence. Quatorze ans plus tard, le groupe compte quelque 1 200 dates de concerts à travers le monde. Sylvain Quimène, aka Gunther Love, a longtemps fait partie du groupe avec lequel il a organisé nombre de concerts, soirées et joué sur scène :
"C'est là qu'on a créé nos premiers spectacles, qu'on a tout mis en place. On a également organisé des concerts, en partenariat avec Auguri Productions, en faveur du Secours populaire français, cela s'appelait le Secours Pop Rocks. On y a accueilli M, Oxmo Puccino, Tété, on a participé à la reformation du groupe de rock FFF, on a aussi eu des groupes comme Shaka Ponk… On a organisé des boums, des kermesses ! On est venus avec des artistes rap et électro, des personnes qui n'avaient pas l'habitude de venir sur scène là-bas." Sylvain Quimène, Gunther Love du groupe Airnadette
Des souvenirs au Bus, Sylvain Quimène en a beaucoup, des personnels, "j'y ai carrément rencontré ma femme à l'époque", confie-t-il et des "professionnels", comme lorsqu'il a assisté au concert de reformation du groupe FFF, un moment "très émouvant". "C'est un endroit où on prend beaucoup de plaisir à se retrouver, c'est un club comme il n'en existe plus beaucoup à Paris, il y a un petit côté anglais que j'aime bien. C'est la mise en valeur du live, du rock. Il en reste quelques-uns à Paris mais en plein Pigalle, c'était l'un des derniers bastions rock'n'roll, cela va nous manquer !"
"La particularité du Bus ? C'est déjà de savoir qu'il y a des artistes comme Gainsbourg qui sont venus jouer ici avant nous, que la scène n'a pas vraiment changé, les murs n'ont pas beaucoup bougé, que la moquette sent toujours aussi mauvais ! Et c'est ce qui nous plaît quand on arrive sur place (rires) ! C'est l'essence rock, il y a un truc qui transpire ! Ce n'est pas une boîte de nuit, c'est une entité, une vibe, une institution en fait, il n'y a pas d'autre mot." Sylvain Quimène
La fin d'une histoire rock
Une page du rock à Paris se tourne aussi pour le public, souvent composé d'habitués. Dominique y vient par exemple plusieurs fois par an, depuis une trentaine d'années. Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac, Yarol Poupaud, il a vu de nombreux artistes sur scène mais reste surtout marqué par "les soirées de Guitare Garage, un célèbre luthier du quartier qui tous les ans faisait une soirée au Bus Palladium avec de nombreux invités : Axel Bauer, Nono, Raphael… Il y avait un monde fou !"
Bien que plus jeunes, Nicolas (25 ans) et Laura (26 ans) fréquentent depuis quelques années le Bus. Laura est venue dès l'adolescence, tous les week-ends et a le souvenir d'avoir vu son premier concert au Bus. "C'était le seul endroit pour moi dans Paris qui proposait de la musique que j'écoutais dans la vie de tous les jours, explique la jeune femme. Je n'ai jamais aimé les endroits qui passaient de la musique commerciale ou électro donc je trouvais mon compte ici. On a toujours pu assister à des petits concerts de groupes qui débutent donc cela nous a fait découvrir plein de choses, c'est génial. C'est la fin d'une époque, cela veut dire que maintenant on n'a plus de repère rock'n'roll dans Paris et c'est triste !"
Nicolas est allé au Bus pour la première fois il y a cinq ans, pour voir un groupe de copains sur scène. Il y est retourné à plusieurs reprises par la suite, pour des concerts, un one-man-show ou simplement pour faire la fête car le lieu se transforme en boîte la nuit, en deuxième partie de soirée. "Pigalle qui est un coin de musicos, d'artistes - je fais de la guitare et la guitare il n'y a que cela autour - le Bus P., c'est un peu le point de rendez-vous pour les concerts. Et de perdre une salle comme celle-ci, cela fait un petit pincement au cœur."
Le Bus Palladium pourrait renaître
Demain, vendredi 2 avril 2022, le Bus vivra sa dernière...
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