Ils sont plasticiens, dessinateurs, photographes ou scénaristes. Leurs difficultés liées à la crise sont encore amplifiées par l’absurdité de leurs statuts. Il y a un an, l’ambitieux rapport Racine suscitait chez eux beaucoup d’espoir. Mais la réforme semble aujourd’hui au point mort.
« Lorsque le premier confinement est tombé, nous avons eu des projets à terminer pendant un mois et demi, avant une nette rupture d’activité, raconte le graphiste Paul (le prénom a été changé). Nous savions que les conséquences se feraient ressentir dans les six mois à deux ans. Et en mai 2020 c’est devenu très compliqué. Depuis, presque tous nos clients ont fermé. » Paul se débat depuis un an pour maintenir son atelier à flot. « Nous avons sollicité aides et prêts garantis par l’État pour tenter de préserver une structure que nous avons mis près de vingt ans à construire. » Sa situation est éprouvante. Il n’est pas le seul : « catastrophique » est l’adjectif qui qualifie le plus souvent le sort des artistes-auteurs. Écrivains, traducteurs, dessinateurs de BD, photographes, plasticiens, illustrateurs, scénaristes, peintres, sculpteurs, critiques d’art… Tous sont frappés de plein fouet par la crise du coronavirus. Des expositions ont été annulées, des parutions de livres reportées, des achats d’œuvres ajournés.
Selon une enquête de l’ADAGP (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques) parue en février dernier, 86 % des créateurs du secteur ont subi une perte de revenu. Pour la moitié, elle est supérieure à 50 % par rapport à 2019. Le fonds de solidarité mis en place par le gouvernement lors du premier confinement n’a pas tout de suite été accessible aux artistes et auteurs, qui ne bénéficient pourtant d’aucune allocation chômage. Leurs syndicats ont dû se battre pour « pour que cette population puisse prétendre à une solidarité nationale et ne soit pas la grande oubliée », souligne Grégory Jérôme, du collectif Économie solidaire de l’art. Le fonds a finalement été ouvert à ceux qui justifiaient d’une perte de chiffre d’affaires supérieure à 50 %. Un seuil « injuste » pour Marie-Anne Ferry-Fall, directrice de l’ADAGP, puisque les salariés placés au chômage partiel sont quant à eux rémunérés à 85 %. Au bout du compte, malgré l’accès de certains à ce fonds et la création d’aides sectorielles, l’ADAGP estime qu’un artiste sur deux n’a bénéficié d’aucun soutien : beaucoup pensent ne pas y avoir droit, d’autres s’estiment mal informés ou n’osent pas demander. Nombre de créateurs auraient surtout préféré des mesures structurelles qui permettraient d’envisager sereinement l’avenir, comme le respect du droit d’exposition qui rémunère l’artiste lorsque ses œuvres sont présentées. Ou une revalorisation du point retraite, par exemple.
Et cette accablante situation administrative se double d’une précarisation de leurs conditions de vie. Grégory Jérôme, d’Économie solidaire de l’art, estime qu’au moins 60 % des artistes-auteurs étaient déjà au RSA avant le confinement. On ne sait qui va le plus mal, des femmes photographes qui manquent de soins médicaux aux designers de produits qui ne touchent que 3 à 5 % du montant des ventes, en passant par les auteurs professionnels du livre dont 41% gagnent moins que le Smic. Quant aux peintres, certains galeristes prélèvent plus de 50 % du prix d’une toile ! En France, tout le monde célèbre la création, mais le temps passé à écrire, à dessiner, à composer, à peindre compte peu. Ce serait une sorte de loisir. « Le mythe de l’artiste bohème qui crève de faim sous les toits mais vit de sa passion en liberté est apparu au XIXe siècle, analyse l’historienne et critique d’art Isabelle de Maison-Rouge. Or, contrairement aux clichés, un artiste se doit d’être organisé pour réussir à créer, produire régulièrement, diffuser… et tenir sur la durée. » Le système français ne considère que l’œuvre finale, seul support de revenu — et encore pas toujours. Et comme beaucoup d’argent circule, pas moins d’une vingtaine d’organismes de...
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