
Pourquoi la ministre de la culture s’autorise-t-elle des mots violents pour qualifier le secteur dont elle est chargée ? Parce qu’elle pense qu’elle en tirera profit lors de la campagne des élections municipales à Paris, affirme dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
Nous avons rencontré Rachida Dati fin septembre à son bureau – pas dans un bar, on ne sait jamais –, alors qu’elle était fragile ministre démissionnaire, entre la chute de Bayrou et la nomination de Lecornu I. On n’a pas vraiment vu la différence avec une cheffe en activité. La voilà désormais à son cinquième gouvernement en dix-huit mois. Elle semble inoxydable et pourtant son statut est bizarre, tant son action culturelle intéresse moins que le reste.
Le reste, c’est la façon dont elle considère le milieu dont elle est chargée, le chemin qu’elle trace à coups de saillies vers la privatisation de l’audiovisuel public, ses ennuis judiciaires, les procès qu’elle intente à des journaux tout en défendant la liberté d’expression, ses bisbilles avec son parti, Les Républicains, et, grosse cerise sur le gâteau, sa campagne pour la Mairie de Paris, qu’elle pourrait mener sans quitter son maroquin, ce qui est permis mais ne manquera pas d’indigner.
On en a vu, des ministres de la culture qui, dans le bureau doré de la rue de Valois, avec vue imprenable sur le Palais-Royal et les colonnes de Buren, avaient le complexe du gestionnaire face au créateur. Ils transpiraient la trouille. Ils avaient peur d’en prendre plein la figure lors d’une cérémonie des Césars, de se faire allumer au Festival d’Avignon, de se coltiner une grève des intermittents, d’annoncer une baisse de crédits à un patron de théâtre, d’être moqués à la télévision par une star de cinéma.
Mépris ou détestation
Ecouter Dati une bonne heure, c’est constater qu’elle a inversé les rôles. Elle n’a pas peur des artistes – de pas grand monde, du reste. Ce sont eux qui ont peur d’elle. Ils le disent peu, afin de protéger une subvention dans une époque rude, tout en confiant en privé leur mépris ou leur détestation. Le cahier des sobriquets est fourni : incompétente, démagogue, populiste, menteuse, en voie de trumpisation, etc. On la verrait bien endosser la formule rageuse de Maurice Pialat après avoir reçu, sous les sifflets, la Palme d’or 1987 pour le film Sous le soleil de Satan : « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. »
Les quolibets, il est vrai, ont fusé dès la nomination surprise de Rachida Dati, en janvier 2024. Elle s’est alors demandé si elle était légitime à ce poste. Oh, juste le temps de faire une petite recherche pour constater, dit-elle, qu’aucun de ses prédécesseurs ne s’était distingué dans la culture avant. On était en train de lui rappeler que Jack Lang – on aurait pu citer d’autres noms – avait créé, à 24 ans, un festival de théâtre à Nancy, qui gagnera une réputation mondiale, elle nous a coupés sans ménagement : « Moi aussi, je me suis occupée d’un festival, à Chalon-sur-Saône. » On n’en a pas trouvé trace.
Ce qui est sûr, c’est qu’on n’a jamais entendu une ministre dire autant de mal des milieux culturels dont elle est chargée. Elle leur reproche de former une caste endogène, peuplée de Blancs, surtout des mâles, coupés de la société réelle, qui se reproduisent entre eux et ne supportent pas d’être chapeautés par une « Arabe de service ». Elle ajoute que la diversité est bien plus forte dans d’autres ministères.
Cet entre-soi, accuse-t-elle, est la cause d’une « inertie dingue », entretenue par des cadres qui se serrent les coudes, se croient interchangeables au point de candidater à des postes appelant des compétences différentes et dont le seul point commun serait le salaire important. Elle nous cite un directeur de musée prestigieux, à la tête d’une « petite principauté », parti « parader » en Chine. « Je lui ai rappelé que la politique culturelle extérieure, c’est moi qui la pilote. »
En revanche, Rachida Dati a des mots de tendresse pour « les vacataires du ministère aux salaires de misère », les animateurs de l’éducation populaire, les mille Maisons des jeunes et de la culture (MJC), longtemps méprisées par son ministère, et qu’elle se vante d’avoir reçues et aidées. Elle conclut son laïus par une confidence : elle privilégie la France d’en bas pour en avoir été dans sa jeunesse, on le sait, mais aussi parce qu’elle y a vu l’islamisme radical s’infiltrer dans des spectacles de quartiers.
« Je sais faire peur à Bercy »
Rachida Dati entretenant une relation parfois distanciée avec les faits, regardons de près. Dans le budget 2025, moins indigne que ne le disent les artistes (rançon de la détestation réciproque), à moins de dire que la dette du pays est un mirage, l’éducation populaire et les MJC ont bien bénéficié d’un coup de pouce, au contraire de l’éducation artistique à l’école et ailleurs, la sacrifiée de l’exercice.
C’est surtout le budget culturel 2026 qu’il faudra surveiller comme le lait sur le feu dans les semaines à venir. En l’état, il est...
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