L’historienne de l’art veut mettre en valeur les collections permanentes et toucher de nouveaux publics avec une offre ciblée, détaille-t-elle dans un entretien au «Monde».
Directrice du Musée des beaux-arts (MBA) de Lyon et directrice générale du pôle des musées d’art de la ville, qui comprend aussi le Musée d’art contemporain (MAC), Sylvie Ramond, 62 ans, dresse un état des lieux des défis qui attendent les lieux d’exposition après dix-huit mois d’épidémie de Covid-19.
La crise sanitaire va-t-elle laisser des traces dans les musées ?
Il est encore trop tôt pour le dire. Depuis cet été, nous connaissons à Lyon de très bons chiffres de fréquentation, meilleurs que ceux d’avant la crise. En 2019, 25 % de nos visiteurs venaient de l’étranger (Etats-Unis, Italie, Royaume-Uni, etc.). Ils ne sont plus que 8 %. Mais ils ont été remplacés par un public régional et national. Les gens ont été frustrés de culture pendant ces mois de fermeture et de privation, ils sont avides de revenir au musée.
Ce sursaut est-il durable ? On ne visite pas le musée de sa ville tous les mois…
J’ose croire que nous avons suscité une envie. L’importance et la diversité de notre programmation, les expositions, les accrochages, les nocturnes, les week-ends thématiques, les ateliers… constituent une offre dynamique, qui nous permet de fidéliser un public local mais aussi d’attirer de nouveaux visiteurs nationaux. Un Musée des beaux-arts doit être aujourd’hui géré un peu comme un théâtre ou une salle de spectacle. Il faut montrer que les collections permanentes vivent, mener des acquisitions qui donneront envie de revenir. Il y a un côté spectacle vivant.
La course à la fréquentation des grands musées est-elle tenable ?
Déjà, avant la crise, nous nous posions la question d’un modèle alternatif. Le système productiviste sur lequel nous vivons a eu pour conséquence de saturer l’offre des expositions en région comme à Paris, dans une logique purement événementielle. La crise due au Covid-19 a montré combien nos institutions étaient fragiles, dans leur modèle économique mais aussi dans l’idée de permanence qui les sous-tend. Un des défis à venir pour nous, j’en suis persuadée, est de conforter cette permanence.
Va-t-on vers la fin des expositions «blockbusters» ?
Sans renoncer à programmer des expositions d’envergure nationale et internationale, nous travaillons à des projets d’exposition conçus à partir de nos collections. Nous en avons déjà organisé deux sur ce modèle : «Penser en formes et en couleurs» au MBA (décembre 2019-janvier 2020) et «Comme un parfum d’aventure» au MAC (octobre 2020-juillet 2021). Une troisième exposition, «A la mort, à la vie ! Vanités d’hier et d’aujourd’hui», sera proposée de novembre 2021 à mai 2022. Ces projets permettent de renouveler le regard sur les collections permanentes en développant des thèmes transversaux, de l’Antiquité jusqu’à la création contemporaine. Ces expositions ont reçu un très bel accueil du public local.
La crise complique-t-elle le prêt des œuvres et le montage de nouvelles expositions ?
Il faut rappeler l’élan de solidarité qui a caractérisé le premier confinement en ce qui concerne les prêts d’œuvres : report des calendriers, extension des durées d’exposition… La vraie question se pose maintenant : les musées accepteront-ils de prêter encore et d’emprunter les œuvres en allégeant les protocoles très lourds de transport et de convoiement ? La prise de conscience de la nécessité d’être plus sobre écologiquement dans un monde sanitaire plus complexe me semble plus largement partagée. On est parfois allé chercher des œuvres trop loin pour certaines grandes expositions.
Les études montrent un fossé toujours croissant entre pratiques patrimoniales des plus âgés et pratiques numériques des plus jeunes. Est-ce irrémédiable ?
Notre objectif est de proposer une offre très ciblée pour répondre à la diversité de notre public. Dès le premier confinement, nous avons complété notre offre numérique sur les réseaux sociaux et sur notre site Internet : audioguides, dossiers pédagogiques, tableaux à la loupe, collections en ligne… La vidéo s’est ainsi rapidement imposée comme un formidable outil de diffusion de nos collections et de nos expositions.
Nous menons aussi plusieurs actions spécifiques en direction des jeunes. Nous donnons régulièrement des cartes blanches pour la Nuit européenne des musées à des écoles d’art de Lyon. La programmation transversale des nocturnes (théâtre, musique, danse…) a contribué à augmenter la fréquentation des publics jeunes. Pendant le confinement, nous avons aussi tenu à accueillir des jeunes en situation de précarité (opération «Sors de ta piaule»).
La nécessité est de trouver les bons relais. Mais les chiffres sont plus qu’encourageants : en 2020, 28 % de notre public avait moins de 26 ans, 19 % si l’on ne compte pas les scolaires. Je crois aussi beaucoup à la programmation hors les murs pour toucher de nouveaux publics. Nous cherchons à cet effet de nouveaux espaces à Lyon et dans sa métropole.
Vous avez réuni art contemporain et beaux-arts dans un même pôle à Lyon. Pourquoi ?
Le pôle des musées d’art de Lyon n’a pas été le premier à emprunter ce chemin. Il s’est inspiré de précédents à l’étranger, comme celui des National Galleries of Scotland ou les regroupements orchestrés à Manchester ou à Francfort. Je ne sais si notre modèle est duplicable. Mais il me semble impossible aujourd’hui d’être un grand Musée des beaux-arts sans faire une place à la création contemporaine. Et pour un Musée d’art contemporain, la question de la collection permanente finit tôt ou tard par s’imposer, d’autant plus que ...
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