Isabelle Wekstein-Steg revient pour Culturelink sur l’utilisation sans autorisation d’images du Louvre dans un clip de campagne de la candidate à la présidentielle. Une « faute » selon l’avocate.
DROIT À L'IMAGE – Le Musée du Louvre a récemment dénoncé le tournage du clip de campagne de Marine Lepen effectué devant la Pyramide sans autorisation préalable. L'équipe de la candidate a en effet tourné ces images sans autorisation, avant de les diffuser le 15 janvier dernier. L’éclairage juridique d’Isabelle Wekstein-Steg, associée au cabinet d’avocats WAN (Paris).
Quelle est la réglementation en la matière ?
En principe, le propriétaire d’un bien ne bénéficie pas d’un droit exclusif sur l’image de celui-ci. Il ne peut pas reprocher à une personne de photographier ou filmer son bien et d’en exploiter l’image. En effet, après de nombreux revirements, la jurisprudence désormais bien établie considère que l’utilisation de l’image d’un bien est libre sauf trouble anormal pour le propriétaire du bien. Par trouble anormal, il faut entendre « une atteinte à la tranquillité ou à l’intimité de la personne ».
Les domaines nationaux constituent cependant une exception à ce principe. Depuis 2016, l’article L. 621-42 du Code du patrimoine prévoit que « l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national. »
Le Domaine du Louvre et des Tuileries dont fait partie la Pyramide du Louvre, conformément à l’article R. 621-98 du même code, est considéré comme un domaine national.
En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu protéger l’image des domaines nationaux afin d’éviter qu’il soit porté atteinte au caractère de biens présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation et détenus, au moins partiellement, par l’État. Il a également entendu permettre la valorisation économique du patrimoine que constituent ces domaines nationaux.
Saisi le 2 novembre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par les associations Wikimédia France et La Quadrature du Net portant sur l’article L. 621-42 du code du patrimoine, le Conseil constitutionnel, a déclaré, dans une décision du 2 février 2018, cet article conforme à la Constitution.
Sa décision précise la portée de l'autorisation préalable de l'utilisation à des fins commerciales de l'image des biens qui composent les domaines nationaux : l'autorisation préalable du gestionnaire du domaine national n'est pas requise lorsque l'image est utilisée à des fins commerciales et qu'est également poursuivie une finalité culturelle, artistique, pédagogique, d'enseignement, de recherche, d'information, d'illustration de l'actualité ou liée à l'exercice d'une mission de service public.
En outre, compte tenu de l'objectif d'intérêt général de protection de l'image des domaines nationaux, l'autorisation ne peut être refusée par le gestionnaire du domaine national que si l'exploitation commerciale envisagée porte atteinte à l'image de ce bien. Dans le cas contraire, l'autorisation est accordée dans les conditions financières, fixées par le gestionnaire du domaine national, sous le contrôle du juge.
Quel contrat est-il nécessaire de passer avec le Musée afin de pouvoir en utiliser les images ?
L’autorisation peut être donnée au moyen d’un acte unilatéral (des Conditions générales d’utilisation) ou d’un contrat (une licence). Elle peut être gratuite ou payante mais dans le cadre d’une exploitation à but promotionnel telle qu’un clip de campagne politique, cette autorisation sera certainement consentie à titre onéreux.
En effet, la redevance, précise le texte, prend en compte les avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation. Cela conduira le gestionnaire à prendre en compte la nature de l’opération commerciale (usage de l’image du bien dans une vidéo à but promotionnel par exemple) et son ampleur, notamment les moyens employés pour diffuser celle-ci.
Le Louvre peut-il poursuivre la candidate en justice ?
L'utilisation à des fins commerciales des prises de vues d'un bien inclus dans la liste des domaines nationaux, sans qu'ait été au préalable obtenue l'autorisation, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'utilisateur à l'égard du gestionnaire du bien.
Le préjudice subi par celui-ci consistant notamment en l'absence de perception de la redevance dont l'autorisation aurait pu être assortie.
La victime du dommage peut, dans ce cas, en demander la réparation devant la juridiction administrative.
La question qui va se poser est celle de savoir si un clip de campagne politique dont la visée est promotionnelle constituerait une « utilisation commerciale » au sens de l’article L642-21 précité. Et, si ce clip a une portée promotionnelle, il faudra également voir si celui n’a pas une finalité culturelle, artistique, pédagogique, d'enseignement, de recherche, d'information, d'illustration de l'actualité ou liée à l'exercice d'une mission de service public, auquel cas, l’autorisation du gestionnaire du Louvre ne serait pas nécessaire pour diffuser les images litigieuses.
Dans notre cas il me semble que le Louvre peut arguer du fait que le clip de campagne a une finalité qui n’entre pas dans le cadre des dispositions précitées et peut en conséquence agir en justice contre la candidate.
Les règles sont-elles applicables quel que soit le monument, l’édifice ?
L’amendement visant à instaurer de telles règles pour l’ensemble des monuments historiques, classés et inscrits, publics et privés, a été rejeté par l’Assemblée nationale.
Celui-ci visait « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, générant des recettes commerciales, d’un monument historique doit faire l’objet d’un accord préalable de son propriétaire. »
Ainsi, la règle selon laquelle une autorisation doit être demandée au gestionnaire ou propriétaire du bien pour toute utilisation commerciale de l’image de ce bien ne s’applique pas quel que soit le monument ou l’édifice.
Un décret du 4 mai 2017 a fixé une liste exhaustive, qui a depuis été complétée par un décret du 10 septembre 2021, de monuments faisant partie des domaines nationaux. Il s’agit des monuments et édifices suivants :
• 1° Domaine de Chambord (Loir-et-Cher) ;
• 2° Domaine du Louvre et des Tuileries (Paris) ;
• 3° Domaine de Pau (Pyrénées-Atlantiques) ;
• 4° Château d’Angers (Maine-et-Loire) ;
• 5° Palais de l’Elysée (Paris) ;
• 6° Palais du Rhin (Bas-Rhin).
• 7° Palais de la Cité (Paris Ier) ;
• 8° Domaine du Palais-Royal (Paris Ier) ;
• 9° Château de Vincennes (Val-de-Marne et Paris XIIe) ;
• 10° Château de Coucy (Aisne) ;
• 11° Château de Pierrefonds (Oise).
Les autres monuments historiques relèvent donc des règles du droit à l’image des biens tel qu’appliqué à tout autre type de biens (maison, domaine privée, jardin etc…). Ainsi lorsqu’un monument historique, qui ne figure pas dans la liste des domaines nationaux, est représenté, l’autorisation de son propriétaire n’est en principe par requise. Il est toutefois important de noter que l’autorisation de l’auteur de l’œuvre que peut constituer le bien (par exemple, l’architecte) peut être requise.
Propos recueillis par Antoine Blondel