
Le président des Etats-Unis s’inscrit, sans le savoir peut-être, dans l’histoire du nationalisme artistique américain anti-européen, observe, dans sa chronique, Philippe Dagen, journaliste au service Culture du « Monde ».
L’Europe stupéfaite assiste aux manifestations de nationalisme exacerbé de Donald Trump. Mi-février, lors de son premier voyage sur le Vieux Continent, son vice-président, J. D. Vance, a insulté ces mêmes Européens au nom de sa conception de la liberté. Tout ceci a été universellement commenté. Cette stupeur ne serait-elle pas cependant amnésique ? Ce nationalisme n’est pas neuf, pas plus que ne le sont la volonté d’hégémonisme et l’arrogance qui vont de pair avec lui. Considéré du point de vue de l’histoire de l’art moderne, il a même un air de déjà-vu. Seul le degré de brutalité diffère.
Quand Trump promet « un âge d’or des arts et de la culture » le jour où il met la main sur le Kennedy Center de Washington et quand il publie un décret pour « promouvoir une belle architecture » qui serait « traditionnelle, régionale et classique », il applique la logique du « Make America Great Again » à la création et à la culture. Et il s’inscrit ainsi, sans le savoir peut-être, dans l’histoire du nationalisme artistique américain anti-européen. Elle commence dans l’entre-deux-guerres. Jusqu’alors, aux Etats-Unis, les beaux-arts ont été dominés par l’Europe : parce que les artistes américains viennent se former à Londres et à Paris et parce que les collectionneurs importent massivement autant d’œuvres du Moyen Age et de la Renaissance que d’impressionnisme et de cubisme.
Ainsi naissent les ensembles du Metropolitan et du MoMA à New York, du Museum of Fine Arts de Boston, de l’Art Institute de Chicago ou de la National Gallery de Washington. Mais, déjà, apparaissent des signes d’agacement, le plus visible étant la fondation à New York, en 1931, du Whitney Museum of American Art, qui se consacre exclusivement aux artistes de nationalité américaine, le MoMA étant accusé de les négliger au profit des Européens.
Soft power agressif
Après la seconde guerre mondiale, l’affrontement change de but. Il ne s’agit plus de résister, mais de conquérir. La revendication d’un art américain émancipé de l’influence européenne devient dominante et s’intègre à la politique étrangère des Etats-Unis. Il s’agit d’imposer l’idée que l’art américain (Pollock, Rothko, etc.) l’emporte sur ce qui se crée alors en Europe et que New York est désormais la capitale de l’art vivant, aux dépens de Paris.
L’argument idéologique est simple : les Etats-Unis sont le pays de la liberté et leur art en est l’expression maximale. Le politique suit. Des pays bénéficiaires du plan Marshall, il est attendu qu’ils fassent bon accueil à ces artistes, ce qui advient en effet, sauf en France. Cette action concertée a été décrite en 1983 par l’historien d’art Serge Guilbaut dans son livre Comment New York vola l’idée d’art moderne (éditions Jacqueline Chambon, 1989). Que Pollock et Rothko soient de grands artistes ne se conteste pas, mais il n’est pas plus contestable que leur réputation est alors orchestrée et diffusée par les institutions et les galeries américaines afin de dominer la scène artistique mondiale.
A la promotion de l’expressionnisme abstrait succède, dans les années 1960, celle du pop art (Warhol, Lichtenstein, Wesselman, etc.), qui répand les images de la prospérité et du consumérisme américains. Cette stratégie de soft power agressif triomphe en 1964 quand, à force de manœuvres, un artiste américain reçoit pour la première fois le grand prix de peinture de la Biennale de Venise : Rauschenberg. Qu’il soit l’un des artistes les plus inventifs de l’époque ne fait, là non plus, aucun doute. En en faisant son héros, le Département d’Etat ne s’est pas trompé. Il n’en reste pas moins que la...
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