
Le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, 48 ans, a été reconduit dans ses fonctions de directeur du Festival d’Avignon pour un nouveau mandat de quatre ans, jusqu’en 2030. Entre bilan et perspective, l’artiste fait le point sur la manifestation.
Soutien à la liberté de création, retour du théâtre dans la Cour d’honneur, célébration de Jean Vilar en réformiste, afflux de jeunes artistes : Tiago Rodrigues ne veut pas tirer le Festival vers le passé mais le propulser vers l’avenir. Cet auteur et metteur en scène de spectacles d’une grande humanité (comme Sopro ou Antoine et Cléopâtre) ne fait pas les choses à moitié. Il a quitté Lisbonne pour s’installer à Avignon. Une nouvelle vie qui le verra voter en France, pour la toute première fois, dès 2026.
Quelles seront les lignes de force de votre second mandat à la tête du Festival ?
Mon renouvellement me permet d’appréhender le Festival, en m’appuyant sur le bilan des trois premières années et en me projetant sur les cinq qui vont suivre. Le projet s’est enraciné. Il s’est adapté à la réalité, aux moyens, aux outils et au savoir-faire du Festival. Les questions qui traversent Avignon sont, peu ou prou, toujours les mêmes. Mais celle qui me tient le plus à cœur est la liberté de création. Comment la défendre dans un moment où elle est menacée partout dans le monde, et plus particulièrement en Europe ? Comment rendre cette création toujours plus accessible au public le plus divers ? Cette mission, qui est celle du Festival depuis sa fondation en 1947 par Jean Vilar (1912-1971), n’a rien perdu de sa pertinence.
Doit-on s’attendre à une continuité ou à des ruptures ?
Chaque édition est une page blanche et la continuité n’interdit pas le changement. Rien ne dit que le principe de la langue invitée sera immuable. Le spectacle itinérant, la permanence d’un unique artiste (comme ça a été le cas de Gwenaël Morin) au Jardin de Mons, la venue de la Comédie-Française, aucun de ces rendez-vous n’est gravé dans le marbre. Les lignes déjà tracées ne doivent pas devenir des prisons. De la même manière, j’ai décidé en 2026 et 2027 de ne pas présenter mon travail de metteur en scène au Festival.
2026 sera l’année de la 80e édition du Festival, comment allez-vous célébrer cet anniversaire ?
2026 aura évidemment une dimension mémorielle. Mais je veux inscrire cette 80e édition dans le futur et la projeter vers les quatre-vingts prochaines années d’un Festival qui n’en est, je l’espère, qu’au milieu de sa vie. C’est à l’avenir, plus qu’au passé, que seront donc adressées les questions que porteront les artistes invités. Interroger ce qui vient, c’est le propre de la jeunesse. Le fait que des créateurs plus jeunes, venus d’autres disciplines artistiques et d’autres nationalités, prennent les devants dans la programmation ne doit rien au hasard. En procédant de la sorte, nous ne trahissons pas Vilar. Au contraire, nous respectons le directeur qui a su, à la fin des années 1960, réformer un Festival devenu trop patrimonial. C’est avec ce Vilar utopiste et combatif que nous serons en lien.
En trois ans, Avignon a vécu des crises et des polémiques. Faut-il passer par les tempêtes pour s’approprier la manifestation ?
Je n’en suis pas le patron. Les vrais propriétaires sont le public et les artistes. Grâce aux réussites, aux obstacles surmontés, aux erreurs toujours instructives, j’apprends à mettre ma vision au service du Festival. Le bilan est positif. Face au miroir, lorsque je me demande si je suis fier des trois années écoulées, la réponse est oui. Absolument. Je suis très fier du geste artistique, du renouvellement et de l’élargissement du public, du travail de proximité que nous menons toute l’année sur le territoire. Le théâtre populaire, ça ne consiste pas seulement à inviter mais aussi à se faire inviter. Aller frapper aux portes, dans les villages, jouer en tournée à Grasse et à New York. Et je n’oublie pas la France d’outre-mer avec qui le rapport, dans les cinq années à venir, sera priorisé.
Bilan positif, dites-vous, mais il y a eu pourtant de la contestation. Notamment sur les spectacles qui ont fait l’ouverture, trois ans de suite, de la Cour d’honneur. Faites-vous, sur ce point, un bilan critique ?
Je me battrai toujours pour des formes dont le niveau d’exigence peut générer de l’incompréhension, du trouble, du débat. Je refuse de cantonner les prises de risque aux petits lieux confidentiels. La Cour est un laboratoire de création. Pas uniquement un musée des choses qui marchent et plaisent au plus grand nombre. A nous de trouver l’équilibre entre les grandes formes populaires, comme Le Soulier de Satin en 2025, et les projets moins consensuels.
Bartabas et Ariane Mnouchkine sont deux des figures emblématiques du Festival d’Avignon. Feront-ils leur retour sous votre direction ?
J’espère rencontrer Bartabas. Et je ne renonce pas à faire revenir Ariane Mnouchkine, avec qui le dialogue est entamé, même si nous n’avons pas encore réussi à concrétiser. Cela étant, le Festival doit continuer à être celui des nouveaux récits et des nouveaux imaginaires. Dans les cinq prochaines années, je souhaite que la découverte gagne de l’espace avec la présence d’artistes pas encore repérés et dont les esthétiques ne nous sont pas familières.
Pourquoi avoir choisi le coréen comme langue invitée de l’année 2026 ?
C’était l’opportunité d’avoir une langue qui vient de loin et qui créera un dépaysement, des surprises et de l’exotisme. Et puis, voilà vingt-cinq ans qu’il n’y a...
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