
Dans quel monde, lors de son licenciement, le directeur d’un organisme investi d’une mission de service public est-il gratifié d’un parachute doré – et ce, en ayant laissé courir de graves dysfonctionnements durant une quarantaine d’années ? Réponse : la SSAA, anciennement Agessa. Montant : 300.000 €, versés à Thierry Dumas, lors de son départ le 7 juin 2024.
Au commencement, il y eut le scandale Agessa, que certaines organisations dans le déni continuent de refuser. 190.000 artistes auteurs qui n’ont pas eu de prélèvement de cotisations. Des faits reconnus par l’ancien directeur, pour qui « l’AGESSA n’a pas fait son travail pendant une quarantaine d’années ».
Bruno Racine, conseiller maître à la Cour des comptes, dans son rapport de 2020, indiquait : « Ce défaut de prélèvement qui s’expliquerait par les limites du système informatique illustre une grave défaillance de pilotage interne et de contrôle externe. Les conséquences sociales en sont dramatiques puisque les artistes auteurs concernés qui, de bonne foi, pouvaient légitimement aspirer à percevoir une pension de retraite à proportion des cotisations qu’ils pensaient avoir versées se trouvent privés de droits correspondants. »
Quarante ans d’oubli, mais qui s’en souvient ?
Des manques de moyens, ou des contraintes structurelles, donc, mais pas seulement. L’ancien directeur avait invoqué une responsabilité partagée des ministères de tutelle – en l'occurrence Culture (chargé des politiques relatives aux auteurs et artistes) et Affaires sociales, c’est-à-dire en pratique le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, via sa Direction de la sécurité sociale (DSS). Il suggérait alors que les demandes et alertes adressées aux ministères n’avaient pas obtenu de réponse suffisante.
Une justification de l’échec structurel qui est bien entendu contestée par les syndicats d’auteurs.
Reste que le pilote du scandale Agessa avait été reconduit dans ses fonctions quand la structure fut renommée SSAA — Sécurité Sociale des Artistes Auteurs. Voilà qui ne manquait déjà pas d’ironie : de fait, sous sa direction, l’Agessa a été reconnue coupable de faute et condamnée à indemniser un auteur pour la gestion défaillante des droits à la retraite.
En remerciement des services rendus...
Pourtant, dans le procès-verbal du Conseil d’administration que ActuaLitté a consulté (sans tomber de sa chaise, et pourtant), on apprend qu’une indemnité de 300.000 € a été attribuée à l’ancien directeur et à son adjointe. Et ce, sans que ledit CA n’en ait été averti, « au regard d’un départ pour faute professionnelle et signalements de harcèlement ».
Réponse adressée, du bout des lèvres : « [E]n droit du travail, la sanction nécessite une procédure spécifique ». D’ailleurs, « les indemnités qui ont été versées à l’ancien directeur l’ont été selon les règles conventionnelles et contractuelles qui le liaient à la SSAA », peut-on lire.
Or, ce départ, en dépit du passif, s’est fait dans le cadre d’une rupture conventionnelle, pointe le rapport de la Cour des comptes : « Arrêté du 4 juin 2024 portant cessation de fonctions du directeur de l’organisme agréé prévu à l’article L. 382-2 du code de la sécurité sociale (rupture conventionnelle). »
Conformément à l’article L.2251-1 du Code du travail, c’est toujours la disposition la plus favorable au salarié qui s’applique. C’est donc avec l’argent des cotisations sociales prélevées désormais auprès des artistes auteurs que ces montants ont été payés. L’incompréhension d’alors grandit et les quelque 368.480 affiliés recensés en 2023 (soit 39.134 de plus) apprécieront le geste.
Que tout change pour que rien ne change
De fait, le CAAP pointait l’an passé que « les ministères de tutelle auraient dû relever de ses fonctions le directeur de l’AGESSA, Monsieur Dumas, et désigner une nouvelle personne ayant pour mission de commencer à mettre bon ordre aux pratiques illicites de l’AGESSA ». En effet, l’article R382-14 du code de la sécurité sociale prévoit de démettre la direction « en cas d’irrégularité grave » ou « de mauvaise gestion ».
Ce changement de direction aurait été légitimement attendu dès 2011, « à l’occasion de la mise en place de la direction commune AGESSA-MDA décidée par le gouvernement ». Il n’en fut...
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