La culture est un passage obligé pour tous les candidats à l’élection présidentielle. Dans sa chronique, Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde », estime que leurs propositions ne sont, pour la plupart, pas en phase avec la réalité du terrain.
Chronique. Tous les participants à la présidentielle sont sur la ligne de départ et le sujet, pour la culture, n’est pas de savoir s’ils vont en parler mais comment ils en parlent. Or le mot a muté. Il n’est pas tant question de création ou de patrimoine, des musées ou salles de spectacle, ni de leur financement, que d’identité française. De la culture comme art de vivre.
Dans son message de candidature, Emmanuel Macron prononce une fois le mot « culture ». Il entend défendre « une histoire, une langue, une culture que lorsque l’on est Français, on se doit de connaître, d’aimer, de partager ». Le positionnement prend du sens au moment où les pays d’Europe, en quête de valeurs communes, doivent affronter une guerre à leurs portes.
Dans cette logique, une culture comme décor l’emporte. Exhiber les sites prestigieux. Macron avait célébré sa victoire en 2017 avec le Louvre en toile de fond. Il n’a cessé par la suite de mettre en avant des monuments, par exemple le château de Versailles. Eric Zemmour s’est porté candidat dans une vidéo convoquant le patrimoine millénaire. Marine Le Pen a relancé sa campagne devant la pyramide du Louvre. Valérie Pécresse, dans Le Figaro du 11 janvier, entend défendre « l’esprit français » et faire déménager Molière au Panthéon.
Macron en protecteur
La culture non comme projet mais comme modèle colle à des esprits chauffés à blanc depuis des mois par des concepts identitaires – décolonialisme, cancel culture, wokisme, appropriation culturelle, etc. Le communiste Fabien Roussel n’y échappe pas quand il vante la viande, le fromage et le vin français ou quand il poste une photo de lui en train de lire un album d’Astérix. Jean-Luc Mélenchon aussi, déclarant que la cancel culture a commencé à la révolution française avec la tête du roi tranchée.
Les candidats ont pourtant des programmes culturels, mais, là encore, dans un climat privilégiant les concepts, postures, symboles et idées générales – un décor. Macron endossera la tunique du protecteur, mettant en avant les 14 milliards d’euros que l’Etat a débloqués pour soutenir le secteur face au Covid. La manne ne fait pas une politique, mais qu’aurait-on entendu si elle n’avait pas existé ! Il ne se privera pas de rappeler qu’aucune librairie ou aucun cinéma n’a mis les clés sous la porte, moins qu’il fut un interventionniste impulsif dans la culture – son épouse Brigitte aussi.
Sinon chacun campe logiquement sur ses positions. L’extrême droite a la fibre patrimoniale, Zemmour voulant même « détruire » le ministère de la culture, un repaire de gauchistes bien-pensants donnant des milliards à des artistes américanisés, pour le remplacer par un secrétariat d’Etat aux beaux-arts chargé de protéger et faire connaître la noble pierre.
En face, la gauche et les Verts chantent une ritournelle généreuse pour les créateurs. Mélenchon en est le champion, voulant porter le budget du ministère de la culture à 1 % du PIB, soit autour de 24 milliards d’euros (contre 4 milliards aujourd’hui), mais on sait qu’il s’assoit sur la dette publique. Sinon, droite et gauche se retrouvent pour amener à la culture ceux qui n’y vont pas – un vœu de trente ans.
Guichet à subventions
Ce qui est fascinant, dans la volonté de l’extrême droite de renverser la table et des autres de la redessiner, c’est la façon dont tous les candidats évoquent peu le paysage culturel réel avec lequel il faudra bien se colleter. Pas un mot, par exemple, sur les établissements parisiens du ministère qui absorbent une bonne part du gâteau budgétaire ni sur la ribambelle de musées ou de lieux de spectacle en région.
Eviter le sujet se comprend. La pandémie a gelé le débat sur le modèle culturel français. Il y a pourtant des questions qui fâchent. Déjà, le navire amiral est en sale état. Roselyne Bachelot le dit elle-même. Son ministère a obtenu plus d’argent que ses prédécesseurs, mais il a été amputé de ses personnels plus qu’ailleurs. Surtout, il ne sait plus à quoi il sert. Ses missions sont mal définies, ses objectifs flous, son aura est en berne, au point d’être réduit à un guichet à subventions sans action fédératrice.
Pas étonnant que les collectivités locales, surtout les maires, qui financent les deux tiers de la culture publique en France, en aient assez que Paris leur fasse la leçon. De son côté, l’industrie privée, à la santé insolente, dilue les actions de l’Etat. Pire, une bonne partie de la jeunesse se détourne toujours plus de l’offre culturelle publique – si tant est qu’elle connaisse son existence. Le Pass culture lui est destiné, mais la plupart des acteurs culturels exigent sa suppression, estimant que ce chéquier concerne peu les jeunes d’origine modeste.
Reste une question taboue. Depuis la réouverture des lieux culturels, il y a neuf mois, une partie du public ne revient pas. Certains disent que c’est une question de jours ou de mois, mais beaucoup s’inquiètent d’un bouleversement structurel. Surtout dans les salles de cinéma, affichant 40 % de spectateurs en moins en février. Au Louvre ou au château de Versailles, dont le modèle économique repose sur les touristes, la fréquentation a chuté de 70 %.
Partout, l’Etat aligne les millions pour compenser les pertes. Mais jusqu’à quand ? Doit-il au contraire imaginer un autre modèle, quitte à réduire la voilure ? Sans oublier le fait qu’un peu partout, il demande aux lieux culturels de dégager toujours plus de ressources propres tout offrant des tarifs attractifs, voire la gratuité, pour attirer les jeunes – de belles injonctions contradictoires. Sans parler de lieux culturels, déjà mal en point avant la pandémie, qui ont profité des fermetures et des subventions pour se refaire la cerise...
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