
L’histoire s’articule autour de repères, et les repères convoquent des moments fondateurs, dits de bascule. Ceux que « l’événement Trump » sollicite en 2025 sont légion. Citons-en cinq symptomatiques. Le dissident progressiste Mark Zuckerberg retournant sa veste quelques semaines avant l’investiture pour faire allégeance à celui qu’il avait banni de Facebook est un moment fondateur de l’inféodation (cupide) des géants de la tech.
Le discours de Munich du vice-président JD Vance le 14 février – en marge duquel il s’entretient en tête-à-tête avec Alice Weidel, cheffe de file de l’Afd – est un moment fondateur de la stratégie d’humiliation et de dynamitage politique de l’Union européenne, sa diatribe sur le délitement des valeurs civilisationnelles et de liberté enflammant les partitions d’extrême droite et fragmentant la (déjà vacillante) cohésion continentale.
L’embuscade surréaliste dressée contre Volodymir Zelensky le 1er mars à la Maison Blanche et l’imbécile réception sur tapis rouge de Vladimir Poutine à Anchorage le 15 août couplent deux moments fondateurs de l’indigence (et de la faiblesse) diplomatique de Donald Trump.
L’assassinat de Charlie Kirk le 10 septembre est lui-même un moment fondateur, celui de l’instrumentalisation partisane à partir de laquelle le Président américain et la sphère Maga accélèrent le séparatisme et l’ostracisation (y compris par la voie judiciaire) du peuple progressiste.
L’attaque contre Patrick Cohen, un moment de bascule
Dans l’Hexagone, les moments fondateurs (ou de bascule) illustrant la proximité d’une partie de la classe décisionnelle politique ou économique avec la personnalité, les « valeurs » et l’action trumpistes ne manquent pas, eux aussi. Citons pour seul exemple le jour de l’investiture, le 20 janvier, chaque présence étant l’aveu d’une soumission calculée ou d’une servitude sincère : délégation du Rassemblement national, Éric Zemmour, Sarah Knafo ou Marion Maréchal, le PDG de LVMH Bernard Arnault, en famille, ramenant de Washington « le vent d’optimisme » soufflant outre-Atlantique qu’il oppose à une France et à une Europe encalminées.
Mais il est un autre moment fondateur de l’importation du mantra trumpiste. Fondateur et, lui aussi, de bascule. Il se tient sur le plateau de C à vous, le 18 juin. La ministre de la Culture Rachida Dati agresse en direct Patrick Cohen et Anne-Elisabeth Lemoine : elle suggère que le journaliste (rattaché au service public) se rendrait coupable de « harcèlement » (un « délit pénal »), l’animatrice, quant à elle, « pleurerait toute la journée » (…) au milieu « d’une ambiance épouvantable ».
Une attaque ad nominem perpétrée par la ministre de tutelle de l’audiovisuel pour faire pression (et diversion) sur des journalistes coupables de challenger les procédures judiciaires qui l’accablent. Quelle différence – si ce n’est dans la forme, moins outrancière – avec les agissements permanents de Donald Trump contre les médias ?
Avec pour point d’orgue l’exhortation, prononcée le 19 septembre dans l’avion le ramenant d’un voyage d’État à Londres, de suspendre les licences des médias qu’il juge « contre lui » : un (énième mais particulièrement emblématique) moment fondateur de sa traque contre l’indépendance de l’information, de sa dérive liberticide et de sa détermination à détricoter démocratie et état de droit.
L’extrême droite s’en prend à l’audiovisuel public
Rachida Dati porte la réforme de la loi sur l’audiovisuel dans un contexte incandescent que son comportement, ses déclarations, ses écarts populistes – « créer » en direct un bouc émissaire en vilipendant un journaliste sur la foi de supputations – rendent plus encore inflammable. « L’affaire Legrand – Cohen » qu’elle a (de bonne guerre) abondamment relayée cristallise la bataille culturelle que l’extrême droite mène contre l’audiovisuel public.
Une extrême droite Rassemblement national ou Reconquête ! qui rêve de privatiser Radio France ou France Télévisions, et qui peut compter sur les médias Bolloré (CNews, JDD, JDnews, Europe 1) pour être sur le front à ses côtés et ainsi consolider ou sensibiliser une partie des Français dans cette obsession – Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, a franchi le pas en assimilant CNews à un « média d’opinion (…) d’extrême droite » et en fustigeant « la galaxie médiatique Bolloré » qui s’acharne à « vouloir la peau » de son groupe.
Contexte incandescent donc, qui fait écho au drame démocratique qui frappe l’Amérique : tout média indépendant déplaisant à Donald Trump et qualifié « de gauchiste » est intimidé ou frappé de procès. Et « ça marche », comme en témoignent l’arrêt de l’émission vedette Jimmy Kimmel Live ou celui, en juillet, du Late Show de Stephen Colbert – les deux chaînes étant concomitamment liées au régulateur domestique (Federal Communications Commission) dans le cadre de projets d’acquisition.
Lorsqu’elle menace Patrick Cohen de « déclencher contre lui un article 40 » – « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de...
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