
Accusé d’avoir sacrifié l’écosystème artistique local, vilipendé pour ses convergences avec le milliardaire identitaire Pierre-Edouard Stérin, le conseiller culture de la présidente de région, Christelle Morançais, assume de tailler dans les subventions publiques en invoquant «un principe de réalité».
Rayonnant, alerte, Alexandre Thébault nous accueille dans un café distingué de la place Aristide-Briand de Nantes. Il est, depuis 2021, délégué à la culture et au patrimoine de la région Pays-de-la-Loire. Il est, dit-on, le stratège et l’homme de main de la présidente, Christelle Morançais, (Horizons) sur ce terrain, l’artisan de coupes budgétaires d’une ampleur inédite opérées cet hiver sans concertation avec le secteur et vues comme les prémisses d’un changement d’ère, funeste pour les artistes et le tissu associatif en général. Il a le verbe haut, l’esprit méthodique, le mocassin à glands ardent, une peau de quadra hydratée à l’eau bénite, la dent incisive. «Et un maniement redoutable de la rhétorique, nous a-t-on prévenue. Attention, il est très fort pour retourner les attaques.» Un champion d’aïkido looké en ancien communicant. Présentement, il sourit comme un charme derrière son café. On lui sourit. Il nous sourit. En plissant les yeux.
Alexandre Thébault effraie le secteur culturel comme peu avant lui. Ici, traditionnellement, on a affaire à la démocratie chrétienne. «Là, il s’agit d’une droite civilisationnelle, explique Franck Nicolon, élu d’opposition EE-LV, avec des passerelles vers l’extrême droite autour de valeurs religieuses, familiales, et d’une certaine conception de l’Etat.» Jusqu’alors, au sein des collectivités locales, la droite votait toujours pour le patrimoine et s’abstenait pour le spectacle vivant, mais elle ne votait pas contre. «C’était chacun dans son rôle dans un climat plutôt bon enfant», résume une actrice culturelle du coin, parmi les nombreux souhaitant conserver l’anonymat. Même avec l’ancienne vice-présidente de région Laurence Garnier, figure d’un catholicisme de combat pro-Manif pour tous, les acteurs culturels avaient la sensation de pouvoir parler «sans mépris. Mais le fruit est mûr désormais pour se taper la culture, c’est devenu trop payant d’un point de vue électoral, poursuit-elle. La preuve, regardez : on ferme un théâtre, il n’y a personne dans la rue à part les syndicats».
Guerre culturelle
Pour cette directrice d’institution, Alexandre Thébault est l’incarnation la plus sophistiquée et policée d’un néopopulisme redoutable en train d’apporter les dernières retouches à son épouvantail favori : la figure de l’artiste woke, bien sûr, ce présumé «rentier déconnecté des réalités économiques et des préoccupations des vraies gens». Thébault, cet élu hier encore parfaitement inconnu de la gauche, serait le symptôme d’un moment clé de la guerre culturelle en cours.
Logiquement, des visages se sont crispés, en mars, parmi la vingtaine de membres du conseil d’administration de la Maison Julien-Gracq, centre de littérature contemporaine situé en milieu rural. On annonçait alors que l’homme à l’origine de la perte de 50 % de la subvention régionale (qui représentait 50 % à 60 % du budget de la structure) prendrait le siège de président du CA, en raison du décès du prédécesseur Armel Pécheul en janvier 2025. Pile au même moment, un portrait enquêté de six pages, publié dans le magazine local spécialisé la Scène, n’aidait pas à détendre l’ambiance.
Le journaliste Bruno Walter y rappelait la trajectoire de cet influent conseiller ligérien, «qui souffle à l’oreille droite de Christelle Morançais» : un passé de communicant de crise chez Areva, un pèlerinage sur le chemin de Compostelle d’où est sorti un livre, un engagement dans le mouvement ultra-conservateur anti-mariage gay Sens commun, mais aussi une convergence avec le milliardaire libertaire d’extrême droite Pierre-Edouard Stérin, dont Alexandre Thébault favoriserait le combat identitaire dans l’octroi des deniers publics.
Devant nous, l’élu roule des yeux en croisant les jambes. Et rirait presque de ces «procès d’intention», de ce portrait «complètement fantasmé», clairement «commandé» par la municipalité de Nantes, socialiste. «C’était hyper satisfaisant : ils tenaient le parfait combo du catholique ultraconservateur, soi-disant proche des idées d’extrême droite… On est bien, on se fait plaisir, ça alimente des fantasmes…» dit-il en haussant doucement les sourcils vers d’autres sphères, immunisé contre toute tentation de caricature. Comme si lui-même ne venait pas, entre deux gorgées de café, de peindre certains adversaires en extrémistes woke compromis avec «LFI l’antisémite»…
Bon gaulliste
Alexandre Thébault nous rencontre avant tout pour développer sa vision du financement de la culture, parce que «l’émotion» suscitée par l’annonce des coupes cet hiver a rendu «tout débat de fond inaudible». Mais vu l’ampleur des charges qui pèsent sur lui, il tient aussi, dit-il, à «rétablir certaines vérités», parce que «ce type» portraituré dans la Scène, «personnellement, je ne le connais pas». Lui se présente avant tout en bon gaulliste, «catholique en effet, même si c’est visiblement un problème pour certains aujourd’hui», particulièrement attentif à la liberté d’expression, la diversité d’opinion, au pluralisme. Donc vous lisez Libé, Alexandre Thébault ? Non, «mais je vois passer vos unes». Grand sourire. On lui sourit. Il plisse les yeux.
Si l’enquête de nos confrères visait à révéler sa proximité avec l’extrême droite pour embarrasser le camp Horizons de Christelle Morançais, selon lui c’est raté. «Si je devais être au RN, j’y serai.» En dépit des défis rencontrés par sa famille politique, ce lecteur du radical Figaro Vox et de Marianne est toujours resté à LR. «J’y étais du temps de Valérie Pécresse, j’y reste encore derrière Bruno [Retailleau, ndlr].» Au risque, parfois, de cliver dans son propre camp : en décembre, quatorze vice-présidents de région, dont plusieurs LR et centristes en charge de la culture, s’exprimaient collectivement dans une tribune contre les décisions prises en Pays-de-la-Loire en matière de culture.
En tout état de cause, il ne voit pas en quoi ses...
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