
L’indispensable lutte contre les VSS dans les lieux de musique se heurte aux lacunes de la formation des personnels de sécurité et à la défiance traditionnelle du public à leur égard.
Elles sont au contact direct des publics, sont amenées à gérer des situations délicates, et pourtant : en ce qui concerne la gestion des violences sexistes et sexuelles (VSS) en festival et milieu festif, les entreprises de sécurité privées sont comme coincées dans un angle mort. Entre des formations insuffisantes voire inexistantes, un manque évident de moyens, et des cultures personnelles ou structurelles qui peuvent parfois trancher avec celles du monde de la fête, ces sociétés déployant leurs employés par dizaines sur les événements musicaux doivent miser sur leur bonne volonté ou sur celle des organisateurs pour assurer un traitement adéquat des VSS qui, depuis #MeToo, sont plus que jamais mises sur la table dans le secteur culturel. Alors oui, les choses bougent, et bien des acteurs concernés y mettent du leur. «Mais soyons honnêtes : je n’ai pas la sensation que la lutte contre les VSS soit une priorité pour les sociétés de sécurité», avance Christophe Denoyelle, gérant de l’entreprise SBS Sécurité. Cette dernière fait franchement partie des bons élèves. «Quand j’ai commencé dans le milieu il y a vingt-cinq ans, on n’en parlait pas entre confrères, continue-t-il. On avait une victime de VSS, on la prenait en charge, on essayait de l’orienter, de la conseiller, et quand on avait un auteur, on prévenait les forces de l’ordre. Mais il n’y avait pas de réel dispositif.»
Désormais, les entreprises de sécurité événementielles ont la possibilité de former leurs employés à ces problématiques, sans toutefois y être contraintes. «Dans la formation initiale permettant aux agents d’exercer leur métier, il n’y a pas de module dédié aux VSS», constate Alessandra Andouard, responsable égalité et inclusion au Centre national de la musique (CNM). L’organisme créé en janvier 2020 a, depuis 2021, conditionné certaines de ses aides financières à une obligation, pour les structures comme les festivals, de former ses équipes à ce sujet.
Coût élevé de la formation
On assiste depuis à l’émergence de formateurs spécialisés en la matière, comme l’association les Catherinettes, qui agit principalement dans l’ouest de la France. «Nous donnons une trentaine de formations par an, tout type de structures confondu», assure sa directrice Mélanie Gourvès. «Cela va du festival de musique, aux salles, aux labels, aux producteurs. En revanche, nous formons très peu de sociétés de sécurité, au maximum trois par an. La raison principale est financière. Ces entreprises doivent déjà assumer des formations obligatoires pour conserver les cartes professionnelles de leurs agents et les budgets ne suffisent pas toujours.»
Christophe Denoyelle de SBS Sécurité confirme, annonçant un budget annuel de formation de 22 000 euros, bien plus élevé que celui de ses confrères : «On a eu seulement 3 000 euros d’aides pour les formations cette année, alors qu’une journée menée par les Catherinettes auprès de douze agents coûte plus de 2000 euros. Si on forme beaucoup nos équipes, c’est parce qu’on vient du milieu associatif, du milieu militant, avec une sensibilité à ces sujets.» Une mentalité présente dans cette entreprise de taille moyenne, mais qui est bien loin d’avoir infusé l’ensemble du secteur.
Les Catherinettes, ou l’association Consentis basée à Paris, tentent de travailler étroitement avec les sociétés de sécurité, d’agir en complémentarité lorsque l’organisation du festival le permet. «Avoir tous les corps de métier sur un gros événement, des Catherinettes aux forces de l’ordre, est très important», assène Erwan Michel, cogérant de l’entreprise ACP Sécurité, un poids lourd de l’événementiel basé en Bretagne. «Cela permet de faire des procédures bien ficelées pour qu’elles mènent potentiellement à des condamnations des auteurs.» Son frère, Gwendal, cogérant, complète : «On s’adapte. Quand des nouveaux agents arrivent dans les équipes, il faut qu’ils se mettent à la page. Et puis, les Catherinettes peuvent aussi nous demander des conseils pour bien réagir en cas d’agression, pour avoir des techniques de prise en charge. C’est un échange.» Mais dans d’autres cas, avec d’autres sociétés moins sensibilisées, la coordination est bien plus fastidieuse.
En septembre 2024, le collectif Storm, qui réunit cinq acteurs importants des festivals, de la prévention des risques et de la coordination des musiques actuelles en Bretagne, publiait un rapport dans lequel, entre autres, étaient pointées les difficultés relationnelles entre associations et sociétés de sécurité. On y lit : «[Ces relations] sont traversées par des rapports sociaux de genre, de classe et de race. En entretien, nous avons pu aborder la manière dont les différents stéréotypes inhérents aux associations féministes et au domaine de la sécurité viennent entraver les échanges. Les agents de sécurité sont pensés comme des hommes sexistes et parfois même fascistes, tandis que les associations de prévention VSS sont pensées comme des jeunes femmes féministes très radicales “avec des cheveux roses et des piercings”, pour reprendre les propos d’un enquêté.»
Les stéréotypes sont tenaces, tout comme une réalité : les agents de sécurité n’ont pas le même vécu, la même culture, les mêmes a priori. Christophe Denoyelle de SBS Sécurité confirme : «Il ne faut pas se voiler la face: certains agents ont une tolérance assez moyenne. Lorsqu’il est arrivé dans l’entreprise il y a trois ans, l’un de mes chefs d’équipe était clairement homophobe. Aujourd’hui, c’est un de mes meilleurs éléments. C’est lui qui traite toutes les problématiques de VSS, qui briefe les équipes sur la transphobie, parce qu’on a passé deux ans à déconstruire ses idées préconçues, parce qu’il est allé à la rencontre de personnes transgenres dans une association rennaise. Le fait d’avoir peu de turnover nous permet d’entamer ce travail de fond.» Une démarche difficile à mettre en place de façon stricte, sachant qu’ACP Sécurité, par exemple, emploie 60 personnes en équivalent temps plein, a fait travailler 300 agents différents durant...
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