
Refus du gigantisme, souplesse de l’organisation, programmation exigeante et ancrage local : les micro-festivals, privilégiant avant tout l’expérience spectateur, séduisent de plus en plus un public de connaisseurs.
On le dit souvent, les festivals musicaux sont en mauvaise santé. Dans un contexte d’inflation des coûts (de sécurité, des cachets des têtes d’affiche…) et de désengagement des collectivités publiques, le modèle des festivals généralistes est une équation à une inconnue : leur futur. Leur baisse d’attractivité auprès des jeunes, et la concurrence des supershows dans les arénas pèsent sur leur avenir. Pourtant, un autre modèle, plus intimiste, moins industriel, semble moins affecté : celui des micro-festivals, qui favorisent l’émergence, autant artistique que professionnelle, de jeunes scènes et remettent au centre l’expérience spectateur. Tous les styles s’y retrouvent, de la musique expérimentale à la chanson, avec des programmations globalement de niches attirant essentiellement un public de connaisseurs. Vous appréciez la performance et les musiques électroniques ? La dub et la musique acousmatique ? Les musiques traditionnelles et expérimentales ? Toutes ces niches ont leur micro-festival dédié, qui attire un public jeune et passionné.
La tendance n’a pas échappé au Centre national de la musique, qui les mentionnait dans son étude sur les usages de la musique en France en 2024. Trois Français sur dix ayant déclaré écouter de la musique se sont rendus à un festival dans l’année et, pour ceux-ci, les micro-festivals arrivent en tête comme type d’événement fréquenté. Ils s’appellent ATOM, Douve Blanche, Oh Plateau !, New Trad Fest, Le Yeah ou encore Champs Libres, et sont urbains ou ruraux, itinérants ou attachés à un lieu, pluridisciplinaires parfois, mais ont en commun d’afficher une petite jauge, généralement une capacité inférieure à 3 000 personnes, et la volonté de redéfinir ce que l’on peut attendre d’un tel événement.
«Une identité plus forte, une plus grands liberté»
Cha Gonzalez, photographe spécialisée dans les événements festifs qui collabore régulièrement avec Libé, en témoigne. «Ces festivals ont une identité plus forte et on y ressent une plus grande liberté. On y a plus l’impression de faire partie de quelque chose.» Une identité qui passe par la programmation musicale, mais aussi par l’accueil des festivaliers ou l’esthétique de l’événement. «La majorité des organisateurs font particulièrement attention à l’univers visuel de leur manifestation et travaillent main dans la main avec des scénographes reconnus», poursuit Cha Gonzalez.
Cofondateur du festival ATOM dans la région de Toulouse, Pablo Belime est éco-conseiller auprès du secteur culturel et spécialiste des micro-festivals auxquels il a consacré une étude. «Il n’y a pas de définition en soi car il n’y a pas de micro-festival en soi. Ça va de l’événement de 200 personnes, où des CSP + se retrouvent entre eux à la campagne pour faire la fête, jusqu’à des fêtes populaires moins élitistes et dont les organisateurs font un travail à l’année sur leur territoire. Néanmoins on peut dégager quelques caractéristiques récurrentes, comme l’engagement, qu’il soit social ou environnemental, et la proximité avec les festivaliers mais aussi les artistes. On est souvent une recherche d’authenticité a contrario d’événements plus gros où on se retrouve pour regarder un concert sur un écran géant et passer un temps infini à accéder à des services essentiels comme les toilettes ou les espaces de repos. La troisième caractéristique de ces manifestations c’est leur jauge, même si celle-ci est parfois trompeuse, notamment en fonction de la taille des terrains. L’appréciation va de quelques centaines à plusieurs milliers de personnes pouvant être accueillis, mais, pour être considéré comme un micro-festival, l’important est qu’on garde le sentiment d’être dans une manifestation de taille humaine.»
Laboratoire de passionnés
La plupart de ces événements ont d’ailleurs été imaginés sans volonté de croissance et de pérennité mais plutôt pensés comme un laboratoire d’expériences pour des passionnés désireux d’intégrer la sphère culturelle.
L’organisateur Pablo Belime confirme : «Sur la dizaine de personnes ayant participé à la création du festival ATOM, les trois quarts travaillent aujourd’hui de manière professionnelle dans le secteur de la culture. Comme souvent avec ce genre de festival, nous étions au départ une bande d’amis de 18 ans qui ne trouvaient pas d’événements leur ressemblant et ont donc décidé de créer le leur pour proposer d’autres manières d’être ensemble, de faire la fête et de s’organiser collectivement.» Pour les organisateurs, ces festivals sont souvent des marchepieds vers la vie professionnelle, mais sont aussi un pas de côté. A la veille de sa cinquième édition, le festival ATOM navigue comme beaucoup d’autres entre engagement bénévole, interrogations sur sa pérennité et volonté de bousculer les schémas classiques. Concrètement, cela se traduit par une organisation mi-professionnelle, avec deux équivalents temps plein pour l’administration, la production et la communication, et mi-associative avec un comité de programmation bénévole. Une démarche qui vise aussi un fort ancrage local : les réflexions du comité sont nourries de propositions de l’entourage du festival, ainsi que des riverains.
Des boîtes à outils pour le futur du spectacle vivant
C’est le propre de ces initiatives de questionner les modes de fonctionnement des festivals plus traditionnels. Désireux de penser ces événements autour de l’idée de communauté, beaucoup misent sur une communication organique, le bouche-à-oreille allant de pair avec la jauge réduite mais aussi un certain «filtrage» du public. Pour essayer d’empêcher les violences sexuelles et sexistes dont certains festivals majeurs ont été le théâtre, ces événements engagés revendiquent la notion de safe space voulant être un espace où toutes les minorités peuvent exister sans crainte de violences. Dans cette perspective, le festival Freerotation au Royaume-Uni assume l’entre-soi et permet l’accès à la billetterie uniquement à travers un système de parrainage. Quant au festival Fusion à Berlin, victime de son succès, il a mis au point un système de tirage au sort, pour ne rien modifier à sa jauge tout en offrant une chance égale à toutes et à tous. Ces deux options sont à rebours des pratiques des plus gros festivals qui ont mis en place des...
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