
Pour beaucoup de compagnies de théâtre, la présence dans le Off d’Avignon représente un énorme coût. Qui souvent générera peu de retour sur investissement. Alors, pourquoi continuent-elles de s’y presser ?
Y a-t-il trop de spectacles dans le Off du Festival d’Avignon ? La question revient comme une antienne chaque année. Et chaque année, il y en a toujours un peu plus. En ce mois de juillet 2025, l’offre est littéralement foisonnante : 1 724 spectacles, 27 400 levers de rideau, 2,6 millions de billets proposés à la vente. Un record. Comme si Avignon demeurait insensible au vent mauvais qui secoue le spectacle vivant. Apparences trompeuses : si cette profusion peut être vue comme un symbole de l’extraordinaire créativité du milieu artistique, elle témoigne surtout d’une crise de la diffusion d’une ampleur inégalée. Dans le théâtre public comme dans le privé, les coûts augmentent plus vite que les recettes depuis des années. Dans le même temps, État et collectivités locales diminuent le montant de leurs subventions au nom d’une rationalité économique souvent imprégnée d’idéologie libérale comme dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes ou des Pays de la Loire.
Cette baisse généralisée des moyens a des conséquences aussi visibles qu’inquiétantes. Partout en France, la capacité des théâtres ou des scènes subventionnées à monter de nouveaux spectacles, ou à en accueillir, ne cesse de se réduire. Et avec elle le nombre de levers de rideau. Les chiffres sont impressionnants. « Sur les soixante-dix-huit scènes nationales majeures pour la diffusion du spectacle vivant, la perte de représentations entre 2024 et 2025 est d’environ un millier, révélait le 22 mai Joris Mathieu, coprésident du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), lors d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale. Pour donner une idée de l’accélération, c’est l’équivalent, en un an, du nombre de représentations perdues entre 2019 et 2024. » « Le nombre de spectacles donnés dans les théâtres de ville a beaucoup baissé, constate de son côté Philippe Chapelon, délégué général de La Scène indépendante, le syndicat national des entrepreneurs de spectacles. Il y a quelques années, quand on montait une tournée avec un spectacle qui marchait, on pouvait compter sur soixante à quatre-vingts dates. Aujourd’hui, si on en fait vingt, on est content. »
"Les compagnies sont prêtes à tout, y compris risquer leur survie économique, car le Off leur apparaît comme l’ultime lieu où se montrer."
Harold David, Avignon Festival et Compagnies
En dépit de ce contexte, le Off fait plus que jamais figure de Terre promise, où comédiens, compagnies et producteurs peuvent jouer leur spectacle en public et rêver d’être repérés par un programmateur qui en prolongera la vie sur d’autres scènes. « La situation est complètement paradoxale », reconnaît Harold David, coprésident d’Avignon Festival et Compagnies (AF & C), l’association chargée de coordonner le Off. « Le succès du festival est le miroir inversé de cette profonde crise de la diffusion. Les compagnies sont prêtes à tout, y compris risquer leur survie économique, car le Off leur apparaît comme l’ultime lieu où se montrer et espérer être vu et découvert par un grand nombre de programmateurs en un laps de temps resserré. » « Elles n’ont tout simplement plus le choix, elles sont prêtes à y aller quel qu’en soit le prix. C’est un saut dans le vide », confirme Philippe Chapelon. Même les spectacles les plus capés reviennent parfois à Avignon. Les cinq Molières récoltés par Du charbon dans les veines n’auront pas suffi à lui assurer une tournée qui permette de rentabiliser sa création. « Nous avons quatre-vingts dates programmées à l’heure actuelle, dont les trois quarts sont dues à notre venue à Avignon l’an dernier. Nous espérons en récolter une quarantaine de plus », confie Jean-Philippe Daguerre, auteur, metteur en scène et comédien de la pièce à succès. Et pourtant, retourner à Avignon lui coûte. « Nous prévoyons une perte d’environ 20 000 euros. »
Car le Off a un prix. Et il est élevé. Il faut louer un créneau dans un lieu de programmation (100 euros le siège), rémunérer les techniciens et les artistes (125 euros brut par jour et par personne), faire la promotion des spectacles (environ 1 000 euros), payer le logement (1 000 euros par artiste), le transport, la nourriture… Les compagnies les mieux loties ou les plus ambitieuses s’adjoignent les compétences d’un(e) attaché(e) de presse et / ou d’un(e) chargé(e) de diffusion pour attirer public et programmateurs. Chaque année, l’addition est un peu plus salée. Une compagnie présente durant toute la durée du festival avec trois artistes sur scène dans une salle d’une centaine de places débourse ainsi environ 40 000 euros. Un montant prohibitif qui représente souvent pour elle le plus important investissement de l’année. Pour une rentabilité plus qu’aléatoire. Même pour les spectacles qui font le plein auprès du public, les recettes de billetterie ne couvrent pas les frais d’exploitation. D’autant plus préoccupant quand on voit les illusions dont se bercent les compagnies : elles engrangent en réalité très peu de dates de tournée à Avignon. Près de quatre sur cinq concèdent en avoir obtenu entre zéro et cinq du fait de leur participation au Off les saisons précédentes [selon une enquête réalisée par le Festival auprès des compagnies, ndlr]. « Économiquement, ce n’est absolument pas viable, reconnaît l’autre coprésident du Off, Laurent Domingos. Il en faudrait au moins entre dix et quinze à chaque participation pour espérer un petit retour sur investissement. » On en est loin. Et on peut supposer qu’avec l’accélération de la crise les chiffres seront encore plus faibles cette année.
L’équation est d’autant plus complexe pour les compagnies soutenues par certaines collectivités locales qui les aidaient à être présentes pour le Off mais qui se sont progressivement désengagées. Si des Régions comme les Hauts-de-France ou le Grand Est continuent à accompagner financièrement une dizaine de compagnies de leur territoire, d’autres comme...
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