
Après cinq mois d’auditions et plus de 300 personnes entendues, la commission sur les violences commises dans le secteur artistique achève ses travaux, avant la publication de ses conclusions, le 9 avril. Ce moment fera date, observe, dans sa chronique, Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
On imaginait un « comité Théodule » promis à l’indifférence. Et on tient une commission qui fait du bruit, divise, est pimentée de polémiques. On veut parler de l’enquête menée par des députés sur les violences dans le cinéma, l’audiovisuel, le spectacle, la mode et la publicité. Pas moins de 350 personnes auditionnées en cinq mois, de novembre 2024 à mars, des stars, des experts, des patrons de théâtres ou de festivals prestigieux, des anonymes : tous à confesse ! Les conclusions seront dévoilées mercredi 9 avril. Le moment a pourtant été à la fois précieux et contestable.
Le bon côté est limpide. Les auditions ont montré l’étendue des dégâts, et en quoi la culture est un terreau fertile pour les violences, notamment sexuelles. On abuse au nom de l’art, du génie créateur, pour mille autres raisons. C’est, parmi une multitude d’exemples, l’actrice Nina Meurisse qui, pour son premier film, à l’âge de 10 ans, a dû tourner une scène de viol sans y avoir été préparée.
Il y a aussi la richesse des informations collectées, et autant de dilemmes. Comment l’instructeur doit-il toucher une fillette de 6 ans pour lui montrer un pas de danse ? Deux musiciens en situation de hiérarchie dans un orchestre peuvent-ils avoir une relation intime ? Un coach d’intimité peut-il intervenir dans la façon de filmer une scène de sexe ?
Séances filmées
Et puis cette commission fera date, car on n’avait jamais vu des saltimbanques de haut vol interrogés par des politiques, certains un peu bousculés. Car les séances sont souvent filmées, à voir sur LCP, comme une sidérante série télé. Ils sont 31 dans la commission, mais un tandem a mené la danse : la présidente, Sandrine Rousseau (Les Ecologistes, Paris), trouvant ici un rôle à sa mesure dans son combat #MeToo, et le rapporteur, Erwan Balanant (MoDem, Finistère). La première a donné la ligne : « Le système n’accepte pas la parole des femmes. » Cette parole est sacrée, elle est si douloureuse à porter qu’elle vaut vérité et ne supporte pas la contradiction.
Cette boussole induit un ton très différent selon les profils. La commission est toute de compassion pour les femmes qui dénoncent les violences, les subissent, les combattent. Certaines sont célèbres : Judith Godrèche, Juliette Binoche, Virginie Efira, Noémie Merlant, Sara Forestier, Anna Mouglalis, Nina Meurisse.
Au milieu, il y a la foule des experts, aux réponses techniques, que la commission écoute sagement. Il y a enfin certains hommes qui ont dû se sentir en terrain hostile. Par exemple les acteurs Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Pio Marmaï et Jean-Paul Rouve, auditionnés ensemble. Pas filmés, eux, mais leurs propos sont retranscrits. Ils sont dans leurs petits souliers. Ils n’ont vu que des comportements un peu « lourds ». Sandrine Rousseau, plus tard, est proche de leur donner l’absolution : « Cela m’intéresse de voir si ça les a fait évoluer, si ça les a fait réfléchir. »
On voit bien aussi que des patrons d’institutions n’en mènent pas large, évitent tout mot de travers, coupables sans doute de ne pas en faire assez pour lutter contre les violences sexuelles. Ainsi, il fut demandé à Wajdi Mouawad, alors directeur du Théâtre de la Colline, à Paris, de s’expliquer sur la notion de « désir », importante pour lui, quand il entend travailler avec tel comédien – le mot est suspect pour la commission. En réalité, cette dernière a envoyé un signal aux décideurs culturels : on ne peut rien contre vous, mais faites gaffe, on vous a à l’œil. On dira que passer un sale quart d’heure n’est pas la mer à boire.
Seul le producteur et agent Dominique Besnehard, qui fut un soutien de Gérard Depardieu, ajoutant...
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