Les perturbations entourant un concert de l’Orchestre d’Israël à la Philarmonie de Paris, entre autres exemples récents, le démontrent une nouvelle fois : le fait d’être un créateur ou un intellectuel israélien serait devenu un frein à une invitation à l’étranger, regrette dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
Ça doit phosphorer sec, dans la tête des musiciens de l’Orchestre philharmonique d’Israël et de leur chef, Lahav Shani, depuis qu’ils sont jugés sur leur passeport israélien et non leur art universel. Déjà contestés ailleurs, en Europe ou aux Etats-Unis, ils ont vu leur concert interrompu à trois reprises, le 6 novembre, à la Philharmonie de Paris, par des militants lâchant des tracts dans la salle, brandissant des fumigènes ou criant pour dénoncer un « génocide » en Palestine.
Quoi que l’on pense de ces incidents, on peut déjà se demander à quoi rime un spectacle bunkérisé, avec des policiers au milieu des spectateurs. La question est posée aux artistes, au personnel, aux tutelles (l’Etat surtout, la Ville de Paris aussi) pour deux spectacles programmés dans les semaines qui viennent avec des musiciens israéliens – les maintenir ou les annuler ? Mais il est déjà probable que l’autocensure va galoper un peu plus vite dans les lieux culturels en Europe afin d’éviter les « emmerdes », comme nous confie un responsable de musée.
Une autre question surgit : les critères servant de boussole pour inviter – ou non – des artistes israéliens ou russes sont-ils en train de bouger ? On leur demande pour l’instant une forme de neutralité par rapport à leur pays. C’est ainsi que la seule figure culturelle russe à être aujourd’hui persona non grata en France est le chef d’orchestre Valery Gergiev, en raison de ses liens très forts avec Vladimir Poutine ; il s’est mis hors-jeu de lui-même. Sinon, il a suffi à la diva russe Anna Netrebko, un temps proche du Kremlin, de bredouiller quelques mots contre la guerre en Ukraine pour être à nouveau invitée à chanter en Europe – un indice parmi d’autres d’une certaine mansuétude envers la culture russe.
Mise à l’écart
C’est loin d’être aussi simple pour la culture made in Israël. Ainsi le pedigree de cet Orchestre philharmonique d’Israël et de son chef sont épluchés en Europe et aux Etats-Unis. Les éléments plaidant pour une invitation sont listés. La subvention de l’Etat est faible, autour de 12 %. Le pouvoir est dans les mains des musiciens, autogérés en coopérative. Ils ne sont pas tous israéliens, et pas tous juifs. Aucun n’aurait eu en public de mots en faveur du premier ministre Benyamin Nétanyahou.
L’Orchestre est souvent qualifié d’« ambassadeur » du pays, mais c’est logique, puisqu’il est seul de niveau international, et donc le seul invité dans les grandes villes du monde. Lahav Shani, comme nombre de ses musiciens, est passé par le West-Eastern Divan Orchestra, constitué de Palestiniens et d’Israéliens et pensé par le chef d’orchestre Daniel Barenboim et l’écrivain palestinien Edward Saïd.
Pourtant la formation israélienne a été récemment chahutée à San Francisco, à New York, à Vienne, au Luxembourg. En septembre, Lahav Shani a vu son concert annulé au Festival de Flandre, en Belgique, avant d’être acclamé six jours plus tard à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées. La fracture franco-belge vient d’une déclaration du chef : il a dénoncé « la souffrance des civils de Gaza face à la catastrophe que cette guerre leur a infligée ». Pour Paris, c’est suffisant ; pour le festival belge, il ne dénonce pas clairement le premier ministre israélien. Un dernier point, non négligeable : à la Philharmonie, après les incidents, l’orchestre a joué l’hymne israélien en deuxième rappel. Pas très heureux, c’est un euphémisme.
Observer à la loupe l’Orchestre d’Israël a néanmoins quelque chose de dérisoire au regard de la tournure des événements. Des dizaines d’exemples récents montrent que le simple fait d’être un créateur ou un intellectuel israélien est devenu un frein à une invitation à l’étranger, alors même que ces derniers constituent le principal vivier des anti-Nétanyahou les plus résolus.
La mise à l’écart de la culture provenant d’Israël, du cinéma à la littérature, se double d’un boycott académique, celui des universités du pays. Ainsi une conférence de la sociologue Eva Illouz a été annulée par l’université Erasmus de Rotterdam, aux Pays-Bas, en raison de ses liens avec l’Université hébraïque de Jérusalem, alors qu’elle n’y enseigne plus depuis trois ans et que ses critiques contre Nétanyahou sont nombreuses.
Débats contradictoires
Le quotidien israélien Haaretz, le 10 novembre, a raconté l’histoire tragi-comique de deux DJ israéliens, installés à Berlin depuis des années, qui, pour continuer à gagner leur vie et sentant le vent du boulet, ont renoncé avec pragmatisme à leur passeport, ont dit tout le mal possible du régime actuel, ont quasiment renié leur pays. Sans garantie aucune de succès.
Il y a bien le groupe de métal Disturbed, qui a pu se produire sans la moindre perturbation au Zénith de Paris, le 12 octobre, alors que son chanteur, David Draiman, est un idolâtre de Nétanyahou qui s’est fait...
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