
ENTRETIEN - À 48 heures du lancement de Tous à l’opéra !, le directeur de la Réunion des opéras de France alerte sur la fragilité du secteur dans un contexte de tensions budgétaires inédites. Et évoque les pistes d’une sortie de crise.
Une cinquantaine d’événements gratuits dans toute la France. Vingt-trois opéras concernés, de Bordeaux à Lille. Une marraine prestigieuse en la personne de Marina Viotti, star de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 aussi connue pour ses rôles de mezzo que ses croisements avec la pop ou le metal… Vitrine de la vitalité de nos opéras de région, Tous à l’opéra ! revient pour une 18e édition. Avec une injonction : prouver au plus grand nombre que l’art lyrique est accessible à tous. Mais dans un contexte économique de plus en plus tendu, nos maisons ont-elles encore réellement les moyens de leurs ambitions ? Réponse avec le patron de la Réunion des opéras de France, Frédéric Perouchine.
LE FIGARO. - Tous à l’Opéra ! revient ce week-end dans toute la France. Mais à l’heure où le secteur culturel doit faire face à des baisses de subventions inédites l’heure est-elle à la fête ?
FRÉDÉRIC PEROUCHINE. - Il serait absurde de vouloir nier ce contexte de tension budgétaire et les inquiétudes que ce dernier peut susciter, à raison, ici et là. Mais dans le même temps, je ne constate pas de démobilisation des structures. Au contraire. À l’heure où notre secteur paraît fragilisé par une succession de crises sans fin, la nécessité d’ouvrir les portes en grand, pour inviter chacun à s’approprier ces lieux que beaucoup n’osent toujours pas franchir, se fait de plus en plus impérieuse.
Nous n’avons pas la prétention de dire qu’une manifestation comme celle-ci renouvelle en profondeur le public. Mais elle est une invitation à faire tomber les barrières encore nombreuses qui empêchent une partie du public de venir. Que ce soit par la multiplication des visites, ateliers ou répétitions qui seront ouverts gratuitement aux familles. Ou par le choix de parrains comme Marina Viotti, pour l’opéra, ou François Chaignaud, pour la danse, qui illustre l’ouverture dont peuvent faire preuve nos artistes depuis quelques années.
"La question n’est pas tant de convaincre qu’à l’opéra il y en a pour toutes les bourses, que de convaincre qu’il y en a pour tous les goûts"
Frédéric Perouchine
Selon vos dernières observations sur l’art lyrique, le prix moyen des places d’opéra en région ne dépasse pas 35 euros. Comment expliquer que l’opéra y reste perçu comme élitiste ?
On ne peut pas dire que l’art lyrique, de manière générale, ne coûte rien. Si l’on compte l’Opéra de Paris, la moyenne du prix des places à l’échelle nationale, grimpe à 64 euros. Mais il est vrai qu’en région, c’est un art de moins en moins inaccessible. Qui plus est si l’on met ce prix moyen en regard de l’inflation qu’ont subie les places de cinéma, qui avoisinent parfois les 20 euros, ou du prix hors-sol de concerts de musique actuelle. Pour autant il reste du chemin. Même si nos taux de remplissage en région, qui en 2023 s’élevaient à 85 % pour le lyrique et 87 % pour la danse, sont satisfaisants, la question n’est pas tant de convaincre qu’à l’opéra il y en a pour toutes les bourses, que de convaincre qu’il y en a pour tous les goûts.
Autre élément qui frappe, le poids très important - plus de 70 % - des subventions issues du bloc local (communes, intercommunalités et métropoles). À l’heure où les collectivités sont pressurisées, ce modèle reste-t-il viable ?
On est au cœur de la problématique à laquelle doivent aujourd’hui faire face nos structures. Ce que l’on constate, c’est qu’il y a malgré tout un attachement local. Une fierté assumée pour ces outils de service public. On le voit dans les débats passionnés qu’ils suscitent en conseil municipal. N’oublions pas que ce sont des repères architecturaux qui pour la plupart ont un ancrage historique très fort en centre-ville. Dans une ville de région, tout le monde sait où se trouve l’opéra même si beaucoup n’y ont jamais mis les pieds. L’enjeu est là : savoir ce que l’on fait de ce lieu emblématique et comment on y vit. N’étant pas du sérail, puisque je viens des centres chorégraphiques nationaux et des centres dramatiques nationaux, je suis chaque jour surpris par la fraîcheur des équipes en place dans le lyrique : leur capacité à s’adapter, chercher des solutions, innover pour aller au bout de leur mission de service public.
Parmi les « innovations », une multiplication de petites formes, d’opéras en semi-scéniques, ou en concert… Faut-il craindre que ces modèles alternatifs deviennent la norme ?
C’est une question qui nous anime tous depuis le Covid. Je me rappelle qu’à l’époque, dans les centres dramatiques nationaux, tout le monde a commencé à faire des formes « covido-compatibles. » Et tout le monde s’est alarmé que ces formes deviennent la norme. Heureusement ça n’a pas été le cas. On constate aujourd’hui une cohabitation entre ces formats plus légers, moins coûteux, qui permettent une mobilité sur le territoire à l’image des camions opéras, et le retour à des spectacles classiques ambitieux, tant en termes de distribution que de dispositif scénique. Ce qui n’empêche pas de se poser des questions sur de possibles évolutions, notamment avec...
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