
Pour entretenir une précieuse visibilité sur les réseaux sociaux, les artistes se mettent en scène dans des vidéos de quelques secondes, peu onéreuses et en phase avec leur public. Le clip, ancien format roi de la promotion, peine à suivre.
«Depuis deux ans, il y a une crise dans le clip», constate Quentin Deronzier. A 34 ans, le réalisateur s’est imposé comme un des grands noms français du clip avec les vidéos qu’il a conçues pour M.I.A., The Weekend, Doja Cat ou Orelsan. «Après le Covid, dans les années 2021 et 2022, il y a eu un rebond. Mais depuis, c’est la catastrophe. Il y a beaucoup moins de clips qui se font car les tournages coûtent plus cher. Aujourd’hui, cela devient quasiment un luxe de faire un clip !» Cette analyse est partagée par de nombreux professionnels du disque, comme Pauline Dageville, directrice marketing chez Cinq7, le label de Bertrand Belin, Kazy Lambist et Malik Djoudi. Elle avance également un autre argument. «Cette perte de vitesse des clips est aussi due à une baisse de leur visibilité qui se limite à quelques chaînes télé, souvent dans des horaires nocturnes. D’autant que le top 50 des clips qui passent en télé reste très proche du top 50 radios même si un groupe comme M6/W9 fait un vrai choix éditorial en diffusant des clips de jeunes talents d’expression francophone. On constate également une baisse des vues sur YouTube. Ce qui compte maintenant pour un artiste, ce ne sont plus les vues de ses clips, mais sa viralité sur les réseaux sociaux.» La tendance des dernières années est donc à la fois de produire des vidéos à des coûts réduits et d’occuper au maximum les réseaux sociaux. «TikTok est un accélérateur pour faire connaître certains artistes», commente Anna Roudaut, productrice de clips et de publicités au sein de l’agence La Pac. Avec le développement de réseaux sociaux axés sur l’image (TikTok et Instagram principalement), le marché de la vidéo musicale est donc en pleine évolution et les formats courts deviennent un enjeu stratégique. Par format court, on entend des vidéos de dix secondes à une minute, conçue spécifiquement pour toucher le public des réseaux sociaux. Alors qu’un clip dure le temps d’un morceau, souvent autour de trois ou quatre minutes.
Le choix radical du format court
Pour accompagner son deuxième album, intitulé Protégé.e, le groupe Terrenoire a ainsi fait un choix radical : pas de clips, juste des formats courts. Trois teasers d’une minute à une minute trente imaginés avec leur ami réalisateur Lucas Eschenbrenner alias Felower, et publiés chaque mois précédant la sortie de l’album en janvier 2025. «Nous voulions retrouver le plaisir artisanal de nos débuts, revenir à l’essentiel avec des formats plus rapides à créer, commente Théo Herrerias qui compose le duo Terrenoire avec son frère Raphaël. Nous mettons plus de nous-mêmes dans ces formats courts, là où nous perdons la main sur la direction artistique d’un clip, qui reste la création du réalisateur.» Si le groupe Terrenoire a choisi de créer des teasers illustrant trois titres de son nouvel album, les formats courts peuvent prendre des aspects très différents comme des courts extraits de concerts, des images de l’artiste dans sa vie au quotidien ou en tournée, des moments de répétitions ou des mini lives impromptus dans sa cuisine ou dans une gare. Beaucoup de courtes vidéos, peu coûteuses, sont d’ailleurs tournées avec un simple smartphone. «Avant, l’artiste était mystérieux, intouchable et il se mettait en scène dans un clip, analyse Quentin Deronzier. Aujourd’hui, avec les formats courts, il joue la carte de l’authenticité. Il montre une certaine forme d’intimité et crée une complicité avec le public, avec ses fans.» C’est le cas de Sam Sauvage dont s’occupe Cinq7. «Avant que nous le signions sur le label, Sam avait fait des petites vidéos où il dansait dans la rue», se souvient Pauline Dageville. Pour capitaliser sur cet esprit urbain décontracté, le label a inclus ces shorts dans le clip de son morceau les Gens qui dansent (j’adore). De la même manière, la pianiste Chloé Antoniotti, également chez Cinq7, s’est fait connaître sur les réseaux sociaux avec des courtes vidéos où elle joue ses morceaux sur son instrument avec une caméra qui la filme par au-dessus. Ce qui permet de voir ses mains se balader sur le clavier. «Elle a tout fait elle-même, avec simplicité, précise Pauline Dageville. Aujourd’hui, nous l’encourageons à continuer à faire ces petits vidéos à la maison. Ces formats courts, ce sont une porte d’entrée sur l’univers d’un artiste.»
Dévaluation du clip
L’argument économique est aussi une raison évidente dans la fabrication de formats courts. Comme l’explique Théo Herrerias : «Quand nous voyons l’argent investi pour des clips et finalement le peu de débouchés qu’il y a en télé ou sur YouTube, cela nous a poussés vers les formats courts. Pour notre précédent album, nous avons fait quatre clips et cela nous a coûté 80 000 euros au total. Là, avec les trois teasers réalisés, nous avons dépensé juste 15 000 euros et nous avons eu davantage d’impact.» Si le groupe Terrenoire privilégie les formats courts, il ne délaisse pas pour autant les formats longs, voire très longs, puisqu’il a...
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