
Licenciements, fermetures, précarité catastrophique des artistes… Les économies drastiques voulues par la présidente de la Région, Christelle Morançais, ont des effets dévastateurs sur le tissu culturel local.
Indignations, grands bruits et fracas médiatique. Tels ont été les premiers effets de l’annonce, en novembre 2024, des coupes budgétaires drastiques décidées par la présidente (Horizons) de la région Pays de la Loire, Christelle Morançais. À peine annoncé, le montant total d’économies — 82 millions d’euros, dont 4,7 millions d’euros pour la culture, le sport et la vie associative ligériens — a été voté le 20 décembre 2024 pour l’année 2025, laissant peu de temps au secteur culturel pour licencier et réduire la voilure dans un délai respectable. On estime que les structures culturelles ont perdu en moyenne 30 % de leur budget. Et Christelle Morançais n’entend pas s’arrêter là : d’ici 2028, la Région prévoit une nouvelle baisse de 10,59 millions d’euros.
Cinq mois après, quelles conséquences ? Dans tous les lieux que nous avons parcourus, de Nantes à Mauges-sur-Loire en passant par Cholet et La Roche-sur-Yon, la réduction des équipes et de la programmation est déjà réelle. Dans toute la région, le nombre de spectacles baisse dans les salles de concert, les opéras et les théâtres ; des lieux d’exposition ferment ; des revues culturelles licencient ; des centres culturels publics s’obligent à privatiser leurs espaces et réduisent leurs horaires d’ouverture ; des lycéens se voient privés de sorties scolaires au théâtre — et la suppression récente de la part collective du Pass culture n’a rien arrangé. Derrière cet appauvrissement tangible de l’offre, on estime que plusieurs centaines de personnes ont perdu leurs revenus, quand des artistes abandonnent tout espoir et changent de voie. Le tissu culturel s’érode, à bas bruit.
Metteur en scène à La Roche-sur-Yon, Laurent Brethome parle d’un « tsunami » : la compagnie qu’il dirige, Le menteur volontaire, s’est vu retirer 50 000 euros de subvention régionale. Son budget restant (650 000 euros) est composé à 75 % par la vente de billets. Le complément est assuré par les collectivités (Ville et département). Ce modèle économique protecteur, dit de « financements croisés », explique en grande partie la vitalité du secteur culturel dans l’Hexagone. Mais cette baisse brutale le contraint à annuler plusieurs actions culturelles prévues dans des écoles et prisons. « Au lieu d’employer une quarantaine d’intermittents, ce sera une vingtaine, déplore-t-il. Une vague inédite nous a frappés. Une bonne partie de la profession va s’effondrer d’ici un an. » Non loin se dresse le Grand R, la scène nationale yonnaise. Derrière les baies vitrées, des lycéens en option théâtre répètent. Ici, 124 000 euros de budget en moins. Florence Faivre, la directrice, fait le bilan : moins de spectacles dès 2025, moins d’ateliers dans les Ehpad, les prisons et les lycées. « La programmation sera également moins éclectique », avance celle dont l’objectif premier est désormais de limiter la casse.
Nathalie Le Berre ne pourra pas en faire autant. Le pôle Arts visuels régional qu’elle dirige a perdu 75 % de son budget en 2025, et n’en aura plus du tout en 2026. Cette structure associative de service public accompagnait depuis dix ans les artistes vers la professionnalisation. Cinq personnes sont licenciées, dont elle. « Les coupes sont fatales dans les secteurs atomisés comme les arts visuels », précise-t-elle, ajoutant que le Fonds régional d’art contemporain, amputé de 300 000 euros, fermera tout simplement ses portes en avril à Nantes, malgré de récents — et ambitieux — travaux voulus par la Région.
Cette vulnérabilité, Igor Porte en a fait les frais. L’artiste nous accueille, le regard fatigué, dans l’atelier de 20 mètres carrés qu’il loue temporairement à la Ville pour peu cher, en périphérie de l’ancien quartier industriel et gentrifié de l’île de Nantes. Le trentenaire fabrique de délicates installations à partir d’objets trouvés, de plantes et de captations sonores. Jusqu’à l’automne 2024, il enchaînait les résidences et les prix, jonglant avec des jobs alimentaires lui permettant, par exemple, de préparer sa participation estivale au Voyage à Nantes — une déambulation artistique dans la ville, rendez-vous d’envergure dans la programmation culturelle municipale. Sa fragile vie d’artiste a vacillé depuis l’annonce des coupes budgétaires. À ce jour, Igor Porte fait surtout des extras dans des restaurants, faute d’argent. Car les appels à projets artistiques sont rares désormais, les structures publiques, exsangues, et c’est tout l’écosystème régional qui se trouve vulnérable. « Aujourd’hui, on se sent exploité en tant qu’artiste, raconte-t-il. Nous contribuons pourtant à l’attractivité qu’offrent les lieux où nous travaillons. La ville évolue, mais notre statut précaire reste le même. » Épuisé par des années de recherches d’emploi infructueuses, le plasticien a passé en octobre plusieurs entretiens pour un poste de professeur à l’école d’art de Cholet. Mais le retrait des subventions régionales a douché ses espoirs : le poste vacant a été supprimé. « Beaucoup d’artistes ne vivent pas de la vente de leurs œuvres. À cause des petits boulots, nous n’avons parfois même plus le temps de créer, déplore-t-il. Le statut le plus proche du nôtre, c’est celui d’agriculteur. Même si j’ai réalisé 6 000 euros de chiffre d’affaires l’an dernier, je paye 1 000 euros de charges. On a besoin des structures publiques. »
Jusque-là, le service public de la culture permettait l’existence, même modeste, de créations expérimentales, non commerciales, et dont la qualité est reconnue par les institutions et le public : aucun des lieux dans lesquels nous nous sommes rendus n’a de problème de fréquentation. Camille de La Guillonnière, directeur du Théâtre régional des Pays de La Loire, enregistrait même des records de spectateurs pour les représentations qu’il montait depuis dix ans en zone rurale. Sa compagnie ayant perdu 30 % de son budget, elle passe de soixante villages visités l’été dernier à trente cet été. « Je vais retirer le mot “régional” du nom [de notre théâtre], car il serait mensonger de le garder alors que nous ne percevons plus rien de cette collectivité », regrette-t-il, ému.
Des “droits culturels” bafoués
L’on pourrait rétorquer que l’effort doit être collectif et que les professionnels de la culture doivent, comme tout le monde, colmater les brèches que le retrait successif des aides publiques a laissées derrière lui. Prudence, toutefois : le principe de « droits culturels » énoncé par la loi NOTRe, en 2015, est ébranlé. Celle-ci stipule en effet qu’« en matière de culture, les compétences sont partagées entre les communes, les départements, les Régions et les collectivités » dans le but de...
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