
Sorties annulées, projets pédagogiques entravés… Le financement de la part collective du pass Culture, qui finance la majeure partie de l’éducation artistique des collèges et lycées, est encore réduite cette rentrée. Sans perspective concrète pour l’avenir.
Sale année pour l’éducation artistique et culturelle à l’école. Elle a débuté en janvier par un clap de fin. A repris en septembre avec une rentrée au rabais. Peine à s’imaginer un avenir dans le flou des décisions budgétaires à venir. Rembobinons et revenons à ce 31 janvier que professeurs et acteurs de la culture évoquent encore avec amertume et colère. Ce jour-là, le ministère de l’Éducation nationale décide de suspendre sans préavis toutes les demandes de préréservations de spectacles et de projets culturels effectuées par les professeurs de collèges et lycées sur une plateforme numérique consacrée à cet usage, baptisée Adage. Impossible, dès lors, de réserver, pour les élèves, des sorties au théâtre, des visites de musées, des ateliers artistiques (écriture, chants, théâtre…), des rencontres avec des écrivains, des réalisateurs, des artistes… En cause ? L’épuisement trop rapide des crédits dévolus à la part collective du pass Culture. Ceux-ci financent toutes les activités d’éducation artistique proposées par la plateforme.
Au moment où le ministère opte pour cette décision radicale, le montant des réservations s’élève à 50 millions d’euros pour la période de janvier à juin. Soit près des deux tiers du budget qu’il a prévu de consacrer au financement de la part collective du pass Culture cette année : 72 millions d’euros. C’est trop, trop vite : à ce rythme, juge la Rue de Grenelle, il ne restera bientôt plus rien. Alors il bloque tout. Pour ne pas laisser déraper le budget de 35 millions d’euros, comme en 2024. Et pour conserver une enveloppe de 22 millions d’euros à utiliser entre septembre et décembre. À première vue, un acte de saine gestion, en réalité une décision incompréhensible et inique pour le monde de l’enseignement et de la culture.
"Le budget baisse de plus de 30 % […] avec en perspective une réouverture chaotique où de nombreux projets ne verront jamais le jour."
Le Fil, réseau d’acteurs de la médiation et de l’action culturelle
Car si la part collective du pass Culture explose son budget pour la deuxième année consécutive, ce n’est pas parce que les professeurs en font une utilisation abusive — on devrait au contraire se féliciter qu’ils se soient approprié si rapidement ce nouveau dispositif, pour le plus grand profit de leurs élèves. Mais parce que l’État a sciemment sous-évalué son financement. Simple question d’arithmétique : les collèges et les lycées sont censés recevoir une somme fixe au prorata de leur nombre d’élèves scolarisés (20 € par élève de première et terminale, 30 € en seconde ou CAP, 25 € en collège). Soit un montant total d’environ 130 millions d’euros en 2025, là où le ministère n’en a été budgétisé qu’un peu plus de… la moitié. On est loin du compte.
Une partie des 22 millions d’euros volatilisée
À la rentrée, nouvelle douche froide. Les professeurs découvrent une circulaire sur les conditions de reprise de la part collective du pass Culture que le ministère de l’Éducation nationale a envoyée avec un sens inné du timing le 11 juillet, alors qu’ils étaient déjà presque tous en vacances. On peut y lire : « Comme le ministère s’y était engagé, il affectera à la rentrée une enveloppe par établissement correspondant à la répartition des 15,2 millions restants de l’enveloppe initiale. » Volatilisée, donc, une partie des 22 millions d’euros préservés pour cette rentrée.
« Le budget baisse de plus de 30 % […] avec en perspective une réouverture chaotique où de nombreux projets ne verront jamais le jour », dénonce Le Fil, un nouveau réseau d’acteurs de la médiation et de l’action culturelle. « Ces 6,8 millions d’euros de différence ne se sont pas évaporés, tempère la direction de la communication du ministère de l’Éducation nationale, ils ont été dépensés pour financer un certain nombre de préréservations effectuées avant le 31 janvier, mais qui avaient été gelées en raison de la fermeture de la plateforme. » Vrai et faux. Ils ont bien été utilisés à cet usage pour ne pas ajouter du chaos au chaos après l’arrêt brutal du pass Culture, mais ont alors été présentés et compris par tous comme un déblocage de fonds supplémentaires, pas comme une ponction sur le budget des 22 millions promis par la ministre à la rentrée.
« Avec 15,2 millions d’euros, on fait quoi ? » s’interrogent aujourd’hui à l’unisson les professeurs que nous avons rencontrés. Et pour cause, cette somme représente un montant de 2,5 à 3 euros par élève au cours du dernier trimestre. Comment, dès lors, s’assurer qu’ils pourront tous bénéficier ne serait-ce que d’une action culturelle dans chaque établissement ? Ce ne sera pas le cas. « On essaye au moins de sauver les spécialités artistiques », explique Prune Mestre, documentaliste au lycée Paul-Éluard de Saint-Denis qui dispense une spécialité théâtre. « On doit ces sorties culturelles aux élèves, c’est leur programme, on nous a demandé de les prioriser. »
Quid de 2026 ?
Et les autres ? « L’année dernière, nous disposions d’un budget de 14 000 euros pour l’année scolaire. Nous venons d’apprendre que nous aurions 1 500 euros jusqu’à décembre et qu’une nouvelle dotation nous serait affectée en janvier sans rien savoir de son montant », explique Florence de Almeida Couteau, professeur de musique à Houdain, dans un collège d’environ six cents élèves. « Avec une somme pareille, impossible de financer tous les projets prévus. Nous nous sommes réunis entre professeurs et nous avons dû faire des choix. Quant à 2026, on est dans le flou total. »
Les professeurs n’ont pas dû seulement composer avec moins d’argent mais également avec moins de temps. Jusqu’à présent, les actions culturelles pouvaient reprendre dès...
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