
Contre l’anxiété et la dépression, « il est temps d’assumer que la culture peut devenir un instrument de santé publique »
Alors qu’un Français sur cinq souffre d’un trouble psychique chaque année, le psychiatre David Gourion plaide, dans une tribune au « Monde », pour l’instauration d’une « ordonnance culturelle » inspirée du « social prescribing » britannique.
La France traverse une crise silencieuse. Les troubles anxieux et dépressifs touchent aujourd’hui un Français sur cinq chaque année, soit l’un des taux les plus élevés d’Europe. La psychiatrie publique est à bout de souffle, et les files d’attente s’allongent devant les centres médico-psychologiques et dans les cabinets. Dans ce contexte, la santé mentale, Grande Cause nationale 2025-2026, constitue une occasion absolument unique d’inventer des dispositifs concrets et utiles.
Depuis l’aube de l’histoire, l’humanité pressent que l’art soigne. En Grèce antique, le sanctuaire d’Asclépios associait bains, chants, sommeil sacré et espaces architecturaux propices à la catharsis. Orphée charme les enfers par son chant et apaise Cerbère. Apollon est à la fois dieu des arts et de la médecine. Les muses ne se contentent pas d’inspirer les poètes, elles détournent les esprits vers la contemplation et la sagesse. Dans la Bible, le roi Saül, tourmenté par des crises d’angoisse et de mélancolie, se calmait lorsque David jouait de la harpe (Samuel 1, 16-23). Dans les traditions chamaniques, le rythme du tambour et la danse collective servaient à rétablir l’équilibre intérieur et social.
La Renaissance et les poètes symbolistes, de Baudelaire à Mallarmé, n’ont cessé de faire de l’art un langage de l’invisible et de la résilience psychique. L’histoire et la mythologie abondent d’exemples où l’art calme, répare ou transcende. Ces récits traduisent une intuition anthropologique universelle : l’art agit sur le corps et l’esprit par l’émotion, le rythme et le symbole.
Baisse de l’anxiété
La science valide ce que l’intuition pressentait. En 2019, un rapport de l’Organisation mondiale de la santé sur le rôle de l’art dans l’amélioration de la santé et du bien-être a compilé plus de 3 000 études internationales et conclu qu’il contribue à la prévention, à la gestion et au traitement des troubles de santé, notamment mentaux. Le document montre des effets sur la régulation émotionnelle, l’estime de soi, la réduction du stress et l’inclusion sociale. La littérature scientifique a largement confirmé que la visite de musées d’art améliore l’humeur, la mémoire et le sentiment d’appartenance. Dans une étude publiée en 2025, les chercheuses Anna Dadswell et Hilary Bungay rappellent que l’art devient un catalyseur de lien entre soignants et communautés culturelles.
Né il y a une vingtaine d’années, ce dispositif britannique du social prescribing permet aux médecins généralistes d’orienter les patients vers des activités non médicales : ateliers artistiques, clubs sportifs, jardins partagés, actions de bénévolat. Les premières évaluations du NHS, le système de santé publique, montrent une baisse de l’anxiété et des consultations répétées. Une étude d’impact datant de juillet 2024 a révélé une amélioration statistiquement significative du bien-être et une diminution des symptômes anxieux et dépressifs chez les participants aux programmes « Arts on Prescription ».
La France, pays d’exception culturelle s’il en est, a déjà amorcé cette voie avec le programme « Culture et santé » lancé en 1999 dans les...
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