
Portée par le succès du Puy du Fou et les financements de Pierre-Edouard Stérin, la « cathosphère » multiplie les projets mettant en scène la France prérévolutionnaire, dans le but avoué de retisser le « roman national ».
« Il faut faire des isolats. Le Puy du Fou est un isolat, un de ces refuges de civilisation, soustraits à la décadence générale, qui préservent des petits bouts de France. » C’est en ces termes, assure Philippe de Villiers, que l’écrivain royaliste et xénophobe Jean Raspail le remerciait d’avoir produit un refuge identitaire sous la forme d’un parc à thème historique.
Nul n’est plus conscient de la force symbolique du spectacle vivant que l’essayiste phare de l’extrême droite, lui qui consacre l’ouverture de son dernier best-seller, Mémoricide (Fayard, 2024), à la « rage » que lui inspira la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris. Un anti-Puy du Fou assumé par les créateurs, Thomas Jolly et l’historien Patrick Boucheron.
Ce dernier ambitionne, à l’été 2027, de mettre en scène un récit national en son et lumière au château de Chambord, qui ne soit ni militariste ni nationaliste. Son coauteur, le metteur en scène Mohamed El Khatib, observe : « On ne pouvait plus rester passifs face à cette tentative d’hégémonie culturelle. »
De fait, le spectacle historique est devenu la grande affaire des réactionnaires, qui ont presque fait main basse sur ce secteur dynamique et y entretiennent le roman national et le culte d’une France « fille aînée de l’Eglise », portée par ses têtes couronnées et ses saints.
Sons et lumières dans des châteaux ou des églises ; fresques historiques sur de grandes scènes ; expériences immersives consacrées à un « héros français » ; Puy du Fou miniatures : ces spectacles manichéens au goût épique dépeignent « une France toujours catholique, toujours royaliste, prérépublicaine, toujours dominée par de bons seigneurs qui se battent avec honneur et courage, et toujours en ordre, analyse l’historien Florian Besson, coauteur du Puy du Faux (Les Arènes, 2022). Ils distillent l’idée que la France est toujours attaquée par l’étranger mais qu’en renouant avec ses valeurs, le roi et Dieu, elle a su continuer son histoire ».
« Réveil patrimonial et spirituel »
Selon les recoupements effectués par Le Monde, la plupart des reconstitutions historiques en France sont aujourd’hui produites ou mises en scène par un noyau d’hommes issus de la sphère catholique traditionaliste, inspirés ou formés par Le Puy du Fou et soutenus par le Fonds du bien commun, le bras mécénal de Pierre-Edouard Stérin. Le milliardaire catholique au projet racialiste, engagé dans la bataille culturelle et politique, multiplie les investissements dans le champ historique et le spectacle vivant.
En 2024, il partait à la recherche d’un entrepreneur capable de créer un parc d’envergure nationale mêlant « culture et loisir afin de favoriser l’adhésion des Français à leur histoire et à leur patrimoine matériel et immatériel ». Autres projets de l’investisseur : développer des animations culturelles pour les parcs existants, ou créer des expériences dans les grands édifices chrétiens français pour permettre au plus grand nombre d’en découvrir « le message et la splendeur ». Dans l’attente de l’éventuelle réalisation de ces projets, le Fonds du bien commun multiplie les investissements dans les expositions historiques et les soutiens à des spectacles montés par de jeunes hommes issus de la « cathosphère ».
Certains adhèrent aux préceptes d’Academia Christiana, une organisation identitaire dont le ministère de l’intérieur réclame la dissolution pour ses discours d’incitation à la violence. C’est le cas des dirigeants de Murmures de la cité, auteurs d’une fresque sur l’histoire de France jouée à Moulins, dans l’Allier, en juillet.
Plus ambitieux, le spectacle La Dame de pierre, un hommage à la cathédrale de Paris qui a rempli plusieurs fois le Palais des Congrès, est lui aussi noyauté par plusieurs sympathisants d’Academia Christiana et des royalistes de l’Action française de Vendée. Couvé par Philippe de Villiers, son jeune producteur, Corentin Stemler, signait en 2021 dans Le Bien commun, magazine de l’Action française. Il a battu les plateaux des médias d’extrême droite pour vendre son spectacle, maniant habilement le jargon catholique identitaire, déplorant la « sécularisation » de la société et appelant à « l’enracinement du peuple » et au « réveil patrimonial [et] spirituel ». Son spectacle remplira les zéniths de France à l’automne.
A Sées (Orne), l’Institut Croix-des-Vents, point de ralliement de l’extrême droite catholique, a aussi « son » spectacle depuis deux ans : mis en scène par un professeur et joué par des élèves de cet établissement hors contrat, sous l’égide de la Fraternité Saint-Pie-X, il exalte le chef de la chouannerie normande sous la Révolution. Autre pourfendeur de la « déconstruction », Dimitri Casali, auteur d’ouvrages sur l’histoire de France aussi politiques que controversés, a relancé ses « opéras rock historiques » avec le soutien du Fonds du bien commun.
Soutien de collectivités
D’autres projets prospèrent sans l’aide de Pierre-Edouard Stérin mais avec celle de collectivités tenues par la droite conservatrice. L’entrepreneur Vianney d’Alançon, proche de l’ex-évêque traditionaliste Dominique Rey, a successivement racheté deux forteresses pour y monter des...
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