
Contraint par un budget réduit, l’atelier AJC a inventé un bâtiment atypique et spacieux à la façade vitrée, inscrit dans la ville.
Sur une route en descente bordée par une falaise boisée, Beauvais fait son apparition au détour d’un virage et l’on est saisi par sa skyline : trois bâtiments parfaitement alignés qui s’élèvent au-dessus de la ligne du bâti, trois volumes homothétiques qui vont décroissant et dessinent ainsi, dans le ciel, un crescendo géométriquement pur. De la cathédrale Saint-Pierre, chef-d’œuvre du gothique flamboyant, à l’église Saint-Etienne, qui compte parmi les plus anciennes du pays, et au tout nouveau Théâtre du Beauvaisis, les silhouettes sont bien différentes. Mais si la forme et la matérialité, résolument contemporaines, du dernier arrivé créent indéniablement une dissonance, le blanc cassé de sa façade et le gris de sa toiture en zinc le raccordent à ses deux aînés.
Bombardée à la fin de la seconde guerre mondiale, Beauvais a été reconstruite selon un plan dessiné par Jacques-Henri Labourdette (1915-2003). Un théâtre s’est installé au pied de l’église Saint-Etienne, dans un hangar qui servait jadis de salle des fêtes, mais ses limites se sont vite fait sentir, et le désir d’obtenir le label « scène nationale » a conduit la ville à s’offrir un équipement digne de ce nom. Inauguré en janvier, il s’érige désormais à sa place, sur une petite parcelle bordée, d’un côté, par des barres de logement de faible hauteur et, de l’autre, par la grande artère qui relie le centre-ville au pont de Paris, qui lui sert de porte d’entrée.
La gestation a été douloureuse. Un premier concours, organisé en 2013, a dû être annulé après la perte d’une subvention importante. Le programme a été légèrement revu à la baisse, et le budget est passé de 23 à 13 millions d’euros. « C’est le théâtre le moins cher de France, se félicite aujourd’hui François Chochon, lauréat du deuxième concours avec Laurent Pierre (1959-2017) et David Joulin, ses associés au sein de l’atelier AJC architectes. Au début, ça nous a vraiment donné des sueurs froides… » La découverte de vestiges romains sur le site et un incendie en cours de chantier n’ont pas aidé à les éponger.
Au-delà de la contrainte budgétaire, qui a conduit les architectes à opter pour le béton et orienté la plupart des décisions vers l’économie la plus stricte, le grand défi était celui de l’insertion urbaine. Le programme imposait, en effet, de construire un bâtiment deux à trois fois plus grand que celui qu’il venait remplacer dans ce contexte très urbain. La question de l’acceptabilité par les habitants du quartier a déterminé la forme atypique de ce théâtre qui s’élève à 26 mètres de hauteur, pour intégrer la cage de scène et les locaux techniques, et qui descend de part et d’autre, comme par glissements, pour rejoindre la hauteur des logements voisins. Ses ailes latérales apparaissent ainsi quelque peu écrasées. Un peu comme une église, au fond.
Urbanité indéniablement agréable
A la différence de l’ancien théâtre qui bordait la limite de la parcelle, celui-ci est placé en retrait et son volume a été pivoté, de sorte qu’il se présente en pointe pour former un angle avec la rue. « On a longtemps cherché le bon angle, poursuit l’architecte. On a tourné en rond comme un chat dans son panier. On s’est inspirés du travail de Labourdette, des distances qu’il avait lui-même installées entre l’église et l’arc de cercle de ses logements. La solution qu’on a trouvée fait revenir la course du soleil dans la rue. »
Le bâtiment a beau être plus volumineux, il ouvre des perspectives nouvelles, créant une urbanité indéniablement agréable. Les architectes, qui plus est, ont tout mis en œuvre pour occuper le moins de surface possible, quitte à rompre avec certains codes de l’architecture du théâtre. Ils ont comprimé le programme au maximum, enroulant le bâtiment sur lui-même en faisant pivoter à 90° la cage de scène, dont l’entrée ne se situe pas, par...
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