
L’annulation du film « Barbie » à Noisy-le-Sec n’est que le dernier épisode d’une longue liste d’attaques contre la liberté de création partout en France. Face aux menaces, certains élus sont contraints de plier.
Le 8 août, la projection en plein air du film Barbie est annulée sous la pression d’un petit groupe d’habitant·es du quartier prioritaire du Londeau, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Le maire communiste Olivier Sarrabeyrouse évoque d’emblée des « menaces », « motivées par des arguments fallacieux, traduisant l’obscurantisme et le fondamentalisme instrumentalisés à des fins politiques », proférées par « une extrême minorité de voyous ». Contactée par Mediapart le 19 août, la municipalité précise : « On ne voulait pas que [ces habitants] prennent les chaises et qu’ils les lancent, que le matériel soit détérioré. C’était la première chose : la sécurité. Et après, c’est avec le recul, il fallait dire que c’était intolérable, irrespectueux, insupportable. »
L’annulation de Barbie, relayée sur les réseaux sociaux, mute en actualité majeure du début de mois d’août. Le 13 août, Rachida Dati, ministre de la culture, dénonce « une atteinte grave à la programmation », tandis que le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau condamne le lendemain « une minorité violente qui veut “hallaliser” l’espace public ».
Des affaires qui se multiplient
Le même jour, lors d’une conférence de presse, le maire répond : « Si je condamne avec toujours autant de fermeté les actes que j’ai qualifiés d’obscurantisme et de fondamentalisme, je condamne avec encore plus de fermeté la récupération politicienne, la spéculation de la haine raciste islamophobe qui se déverse depuis vingt-quatre heures par la droite et l’extrême droite. » « Si cette histoire a pris de telles proportions, c’est parce que les protagonistes ont été identifiés comme musulmans et que les faits se sont déroulés dans un quartier populaire », ajoute Wiam Berhouma, son adjointe à la culture. La municipalité bataille depuis contre des salves de commentaires racistes et islamophobes sur ses réseaux. « On est inondés. On a vraiment bloqué tous les commentaires », déplore la mairie auprès de Mediapart.
L’affaire de Noisy-le-Sec parachève une longue liste d’attaques contre la création culturelle. En novembre 2016, un rapport du Sénat soulevait déjà « un point d’alerte majeur : l’inquiétante remise en cause, de plus en plus fréquemment, des principes de liberté de création et de diffusion artistiques ». Dans une note d’août 2024 transmise aux sénateurs et sénatrices, l’Observatoire de la liberté de création confiait aussi ses difficultés pour recenser l’ampleur du phénomène : « Depuis quelques années, il y a des périodes où nous n’arrivons pas à tout suivre, car les affaires se multiplient et surtout elles touchent des manifestations culturelles beaucoup plus locales. »
"Le mot “Saint” n’est pas approprié pour des festivaliers en train de gesticuler un verre de bière à la main."
Extrait d’un courrier du chef de section de Saône-et-Loire de Civitas
Aucune donnée statistique nationale n’a pu être arrêtée par l’Observatoire de la liberté de création ou le Sénat. En analysant la presse locale depuis 2021, Mediapart a néanmoins pu recenser au moins onze spectacles et concerts annulés après des menaces de l’extrême droite identitaire et catholique et une dizaine d’autres menaces graves contre des événements culturels émanant de ces mêmes acteurs.
Leurs velléités se concentrent depuis quelques années sur des performances ou lectures de drag-queens destinées à des enfants, ainsi que sur des spectacles dans des lieux de cultes désacralisés. Eddy de Pretto avait ainsi été obligé de chanter sous protection policière à l’église Saint-Eustache de Paris (Ier arrondissement) en juin 2021, quand le concert de Bilal Hassani avait été annulé dans une église désacralisée de Metz (Moselle) le 5 avril 2023, à la suite des menaces des groupes d’extrême droite Aurora Lorraine et Civitas.
Toujours en avril 2023, le festival Saint-Rock de Saône-et-Loire était, lui, menacé pour son simple nom, jugé blasphématoire par Civitas. « Le mot “Saint” n’est pas approprié pour des festivaliers en train de gesticuler un verre de bière à la main, voire sous l’emprise de substances illicites, devant une scène dite musicale », indiquait un courrier du chef de section local de l’organisation catholique intégriste.
Un raid identitaire à Mayenne
L’une des dernières intimidations en date a pris place en mai 2025 à Mayenne (Pays de la Loire), bourgade de 15 000 habitant·es, « terre de modérés », selon son maire Jean-Pierre Le Scornet (PS). Le Bal des Ardentes, un spectacle organisé dans un couvent désacralisé, attise alors la colère des identitaires locaux. Ils qualifient ce bal de « blasphème », enjoignant aux élu·es d’y renoncer. Un youtubeur catholique décrit « un bal sorcier », y voyant là un « folklore assez crasse contre Dieu », une « souillure contre les catholiques de Mayenne ». Sur sa chaîne, suivie par quelque 15 000 personnes, il appelle à se mobiliser pour faire annuler le spectacle. Le maire de Mayenne reçoit une salve d’appels et de courriels malveillants, menaçant de « venir depuis la Suisse [pour] intervenir lors de leur soirée de manière forte ».
Face au raid numérique, le maire se résout à annuler la représentation prévue le 24 mai. « Les choses se sont vraiment tendues dans les deux ou trois jours avant le spectacle, et ma responsabilité, c’était de pouvoir assurer la sécurité », se souvient l’édile, interrogé par Mediapart. « Pour se rendre dans ce lieu-là, il y avait quelques rues à passer, et je ne pouvais pas compter sur des forces de sécurité suffisantes, puisqu’elles étaient mobilisées sur un autre événement », poursuit-il.
Le maire précise avoir été contacté par le ministère de la culture et la direction régionale des affaires culturelles (Drac). Il estime avoir été bien accompagné par les autorités. Pour cette annulation, ni la ministre de la culture ni Bruno Retailleau n’ont, en revanche, condamné publiquement ces intimidations, cette fois portées par...
Lire la suite sur mediapart.fr