DÉCRYPTAGE - Pour sa seconde saison à la tête de l’établissement, Emmanuel Hondré s’est mis à dos les amateurs de lyrique «à l’ancienne» en privilégiant des spectacles «citoyens» ouverts à tous. Derrière la querelle, la question de l’avenir du genre reste posée.
Qui sème le vent récolte la tempête. Elle secoue actuellement l’Opéra de Bordeaux, paquebot en plein changement de cap. Jusqu’à présent, les Opéras se fixaient pour tâche de faire danser le ballet et, pour le lyrique, de produire et diffuser les grandes œuvres du répertoire avec chœur, orchestre, décors, costumes et plateau de chanteurs mémorables. La recherche d’un spectacle total, tel que se définit le genre opéra. Or, en 2021, Emmanuel Hondré, candidat à la succession de Marc Minkowski à la tête du Grand Théâtre de Bordeaux, a défendu le projet d’un «Opéra citoyen». Celui-ci a aussitôt séduit la municipalité verte, élue en 2020.
Emmanuel Hondré livre aujourd’hui sa seconde saison, qui renforce et embellit les directions posées dans la première. «Nouvelles formes», «Opéras zéro achat», 4 ballets pour 45 représentations, mais seulement 3 opéras, pour 13 représentations au total. Hondré regrette de ne pas pouvoir en ajouter un quatrième. Hélas, plus on joue, plus on perd, résume, pour le lyrique, la loi de l’économiste américain William Baumol. L’«Opéra citoyen» de Bordeaux, soutenu par la municipalité, qui ajoute cette année 400.000 euros à sa subvention de 16,7 millions d’euros, affiche un trou de 200.000 euros. «On sait qu’un opéra, déduction faite des recettes de billetterie, coûte entre 300.000 et 500.000 euros», dit Hondré, qui veut raison garder.
À Bordeaux, ville de tradition, la nouvelle programmation d’Hondré clive. Ce projet d’«Opéra citoyen» rend-il vraiment service au citoyen? ironisent les amateurs de lyrique, dont certains filent à Toulouse ou à Paris. Hondré se défend d’avoir voulu faire, avec son «Opéra citoyen», une opération opportuniste pour plaire aux Verts. Candidat à la direction de l’Opéra de Genève à l’automne dernier, il a défendu exactement le même projet - et n’a pas été retenu.
«Un bien commun»
Hondré ne vient pas de l’Opéra, mais du concert. Formé à la Cité de la musique, devenue Philharmonie de Paris, où il dirigeait la programmation, il a vécu l’avènement d’un projet d’ouverture «qui allait au-delà de la scène, en liant les enjeux sociaux contemporains à la vie du spectacle vivant», déclare-t-il. Il entend appliquer la recette à l’Opéra. «Ça n’est pas un geste contre la tradition, mais une manière de la faire vivre. J’ai voulu proposer un projet d’ouverture qui complète le socle d’activité d’une maison d’opéra par d’autres propositions qui vont créer le déclenchement de nouveaux publics.»
Emmanuel Hondré a été particulièrement créatif. Les 331 levers de rideaux, dont 263 au Grand Théâtre de Bordeaux et à l’auditorium en 2024-2025, font la part belle à un luxe de «nouvelles formes» qui en cumulent plus du tiers. «Opéra participatif»,où 1000 personnes issues des familles ou d’établissements scolaires chantent les chœurs ; «Venez chanter avec», où le public apprend de la musique religieuse avec partition et guide d’écoute ;trois bals, qui font danser le public avec les membres du ballet après avoir choisi un déguisement dans le stock de 10.000 costumes: «un bien commun», précise Hondré.
À citer encore, des ateliers de pratique avec quinze amateurs et un encadrant, des concerts pour bébé, des concerts immersifs dans le grand foyer où le public assis est encerclé par le chœur, des exercices à la barre donnés par le ballet dans l’espace urbain. Ou encore «L’Opéra vient à vous», c’est-à-dire dans les salles des fêtes, où la moitié de l’orchestre joue un mouvement d’une symphonie, puis discute avec le public «pour casser le côté hermétique du classique et permettre à ceux qui font de connaître ceux qui écoutent» dit Hondré. Nouvelle initiative, enfin, l’Académie, troupe de chanteurs, musiciens, scénographes qui fabriquent leur spectacle et le portent.
Son projet chahute
Côté lyrique pur, les grandes voix se donnent plutôt en récital à l’auditorium et la saison prochaine se réduit à trois opéras, dont deux nouvelles productions. La première, Fidelio (5 représentations), «qui donne matière à un travail avec les populations pénitentiaires, dont 25 personnes vont intégrer le chœur après un travail en prison avec nos chefs de chœur», détaille Hondré. La seconde, Les Sentinelles (3 représentations), opéra de Clara Olivares, élève de Philippe Manoury, pour trois chanteuses et une comédienne. Enfin, Norma (5 représentations), production programmée également au Capitole de Toulouse et venue d’Italie. «Notez qu’il y a aussi des opéras en format intermédiaire», plaide Honoré, pointant les «opéras participatifs» et les «opéras pour chœur» donnés sans orchestre et sans décors, comme cette saison Treemonisha, de Scott Joplin, «forme scénique accompagnée de deux pianos où le collectif humain du chœur est plus fort que des éléments de décor».
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