Surveillance de la consommation électrique, consommation de produits locaux, toilettes sèches… La jeune femme de 27 ans a pour mission, plus que pour métier, de veiller à ce que les productions audiovisuelles et cinématographiques soient le moins polluantes possible.
Les convictions qui l’animent, la manière dont elle les partage poussent à une écoute attentive, enthousiaste. Cette jeune femme-là, grande silhouette toute fine, pourrait convertir des régiments entiers d’indomptables. Débit dru et rapide, phrasé ensoleillé par un accent hérité d’une enfance passée dans le Sud-Ouest, volonté de guerrière et méthode pacifiste, Pauline Gil, 27 ans, trace son chemin en essayant d’entraîner derrière elle le plus de personnes possibles. Sans manifester d’autorité, mais, au contraire, en expliquant, en complimentant. Donner mauvaise conscience, juger ou tenir des propos punitifs, très peu pour elle. Surtout, cela ne sert à rien. « Ce qui donne envie d’agir, c’est le positif », dit-elle.
Depuis près de six ans, Pauline Gil travaille comme écoréférente sur des tournages de films et de séries. On dit aussi écomanageuse ou chargée d’écoproduction. Une mission plus qu’un métier (toujours absent de la convention collective), qui vise à limiter ou à réduire l’impact environnemental des productions audiovisuelles et cinématographiques. Une mission à laquelle Pauline Gil ne s’était pas destinée. La première raison étant que, durant ses études, rien n’existait dans le domaine. L’autre étant qu’elle avait choisi la mise en scène, spécialité suivie à l’université de Corte, en Corse, après l’obtention à Toulouse d’un BTS audiovisuel en gestion de production. Ensuite, direction Paris pour suivre des stages où elle passe par l’émission « Groland », sur Canal+, et se met en quête des premiers boulots dans le cinéma.
Dans le même temps, côté vie personnelle, l’écologie la préoccupe, l’occupe également. Elle manifeste pour la cause, se rend à des festivals écolos comme Alternatiba, achète responsable, agit du mieux qu’elle peut. Quelque chose néanmoins ne va pas. « Je commençais à travailler sur les tournages et j’étais choquée par l’opulence : trop de nourriture, de bouteilles d’eau en plastique, de véhicules, de matériel. Donc beaucoup de gaspillage, de déchets, de non-sens. J’ai été déçue. J’attendais beaucoup de ce milieu que j’admirais et qui, selon moi, devait donner l’exemple. Nous sommes une industrie qui a de l’argent, des privilèges et une influence énorme sur l’imaginaire collectif. Or, cette industrie était totalement déconnectée de la réalité économique, sociale, environnementale. Censée être avant-gardiste, elle était en réalité has been. »
Ne pas trahir ses convictions
Pauline, qui, enfant, rêvait de devenir journaliste – « Je regardais les émissions politiques, je voulais être Elise Lucet » –, n’envisage pas de pouvoir trahir ses convictions. Pas plus qu’elle ne souhaite baisser les bras. « Ne pas prolonger dans mon travail ce pour quoi je me battais dans ma vie privée, collaborer à des films où était ignorée la question écologique m’est apparu inenvisageable. » Dès lors, elle remet en question son métier d’assistante réalisatrice, entreprend des recherches dans l’espoir de rencontrer des personnes qui, dans le milieu, partagent ses idées. Elle découvre le collectif Ecoprod (devenue association en 2021), qui, depuis sa création en 2009, agit pour sensibiliser le secteur de l’audiovisuel et du cinéma à son impact environnemental.
Premier à tirer un état des lieux sur l’écologie dans l’industrie du cinéma, Ecoprod rédige alors des guides et des fiches pratiques destinés à chaque corps de métier du secteur. Pauline Gil contribue à leur rédaction, s’appuyant sur ses observations sur le terrain. Elle appelle aussi les sociétés de production afin de les convaincre de signer la charte établie par l’association en 2014. Son deuxième mi-temps, elle l’occupe à chercher des projets ouverts à l’écoproduction.
Il arrive parfois que les planètes s’alignent, comme cela semble être le cas en cette année 2019, qui conduit la jeune femme sur le tournage de L’Effondrement, une série créée et écrite pour Canal+ par le collectif Les Parasites. Laquelle met en scène une société privée de ses ressources énergétiques, en proie au cataclysme. Un scénario alarmant sur l’état du monde induit un comportement en cohérence. Pauline Gil y travaille. Cantine végétarienne, le plus possible cuisinée à partir de produits locaux, table d’en-cas dénuée de produits jetables, tri sélectif mis en place, maquillage bio, chauffeurs et voitures individuelles supprimés au profit de minibus ou covoiturages… A la fin du tournage, 89,5 % des déchets ont été recyclés. « C’est la première fois qu’en France, au générique, est apparue cette fonction de chargé d’écoprod. L’équipe a beaucoup axé sa communication sur cette démarche écoresponsable. Beaucoup de productions, après cela, nous ont contactés. »
« J’ai tout appris sur le terrain »
A partir de là, Pauline n’a plus cessé son activité. Elle l’a même étendue. En intervenant dans les facultés, les écoles de cinéma, en formant de nouveaux intéressés. « J’ai tout appris sur le terrain et en me documentant, mais il existe aujourd’hui des formations certifiées. Elles sont suivies par des personnes de tous âges, hommes et femmes. Ils viennent souvent de la production ou de la régie. Mais il y a aussi des comédiens. »
Depuis ses débuts, les lignes ont bougé, les écoréférents se sont multipliés, des labels ont été créés, inscrits au générique. Le Centre national du cinéma et de l’image animée oblige désormais les productions à faire un bilan carbone prévisionnel et définitif de leurs tournages. Sans obligation de résultat. Il revient donc à chaque production de s’investir ou pas. « Certains disent qu’ils sont “écoprod”, alors qu’ils ont juste mis des gourdes, des gobelets en carton, un repas végétarien par semaine et voilà », s’indigne Pauline Gil, qui, elle, intervient dès la lecture du scénario. « Je le dépouille en appliquant une sorte de grille écolo. Puis je vais voir tous les chefs de poste pour les sensibiliser, leur demander ce qu’ils peuvent faire à leur échelle. Le but n’est pas de donner des ordres, mais que les équipes travaillent avec moi. Cela prend du temps de changer les habitudes. Il faut accompagner, donner des clés, instaurer des réflexes. L’idéal serait que mon métier devienne caduc. »
Présente tout au long du tournage, l’écoréférente veille au grain. Mais pas seulement. Elle récolte les...
Lire la suite sur lemonde.fr