Stéphane Kerrad / KB Studios : «L’artiste a toujours le dernier mot sur les choix»
Quels sont les « trucs et astuces » des pros ? Culturelink a interrogé la patron et directeur artistique de KB Studios (Paris), en choisissant de se focaliser sur la création d’une affiche mettant en scène une photo unique d’un seul artiste. Choix du portrait, lumières, aménagement typographique… Il livre son processus de création d’une affiche.
Quels sont, pour vous, les 3 ingrédients d’une affiche de spectacle réussie ?
Il y en a évidemment plusieurs facteurs qui sont je pense indissociables. Qualité et force de la photographie, cohérence entre la typographie ou logo, l’image et le détail en plus qui appuiera le message et enfin et surtout la sobriété. Aller à l’essentiel en mettant en valeur le projet artistique ou l’artiste sans charger d’éléments et détails inutiles qui peuvent être contre-productifs en termes d’impact. «Moins il y en a, plus c’est efficace» est une citation que j’ai en tête depuis mes débuts en 2001.
« Attirer l’attention dans un contexte
où nous sommes saturés d’images en continue »
Quelles sont généralement les lignes de force ?
Il faut savoir passer outre les impératifs théoriques ou scolaires pour étonner, attirer l’œil ou inviter à la lecture du message. Dans le cas d’un artiste seul sur le visuel, le nom ou le logo doivent être en résonance avec la photographie et fonctionner ensemble. Chaque cas est unique et adapté et je ne me limite pas aux théories pour laisser une liberté et un champ d’action qui sera adapté au concept.
Le but est, in fine, d’attirer l’attention dans un contexte où nous sommes saturés d’images en continue. Être sobre et impactant en travaillant les spécificités du projet est à mon sens le plus important… et qui demande le plus de réflexion en amont.
Enfin l’originalité a son importance mais doit être adaptée et correspondre à l’artiste. Il faut savoir se limiter dans le champ d’action pour rester cohérent avec l’artiste ou le projet. C’est à mon sens une notion trop personnelle pour en faire une généralité ou l’appliquer à chaque cas.
Comment sélectionnez-vous la photographie ?
Dans 90% des projets, je réalise mois moi-même les photographies dans mon studio à l’Européen, à Paris, suite à une réflexion et des lignes directrices établies en amont avec l’artiste. L’idée vient rarement au moment du shooting. Après la séance de prise de vue, un editing et une pré-sélection est soumise à l’artiste ou la production. La photographie du visuel est ensuite choisie, d’une part en accord avec l’artiste ou l’équipe du projet, mais aussi en cohérence avec le concept préalablement défini.
Je suis intransigeant sur la qualité de l’image, la lumière, la force de l’expression. Je tache de garder une authenticité avec pas ou peu de retouches ensuite afin préserver une forme une authenticité sans artifices. Un travail important est donc réalisé avec mon assistante en amont, avant la première photo. La photo brute doit être la plus aboutie possible en fuyant au maximum lors de la prise de vue les possibilités qu’offrent les retouches aujourd’hui.
Je ne valide et ne soumet uniquement les images fortes, en les faisant défiler rapidement dans ma photothèque en générale le lendemain du shooting. Il y a toujours des évidences… Si la photo peut vivre et exister toute seule, c’est déjà un bon signe ! J’essaie ensuite par les mots ou par des prémaquettes d’aiguiller le choix des images vers les photos qui me semblent les plus adaptées et qui me parlent le plus dans mon processus de création. Mais l’artiste a toujours le dernier mot sur les choix.
« Concentrer le message
et la construction de l’image sur l’essentiel »
Comment hiérarchisez-vous les éléments de texte ?
Plusieurs cas de figure me viennent, adaptés ou spécifiques à chaque projet encore une fois.
Mais en règle générale, le nom de l’artiste ou du projet est évidemment mis en valeur en priorité.
Vient ensuite le titre ou le nom du concept ou projet.
Il y a aujourd’hui de moins en moins d’informations secondaires, que personne ne lit et qui affaiblissent la force ou l’impact de l’image, comme les intervenants et équipes, pour concentrer le message et la construction de l’image sur l’essentiel. Viennent ensuite les informations de lieu, puis les informations billetterie, sites internet et canaux de vente, mais ce n’est pas le plus important sachant que chacun peut trouver aisément ces informations rapidement (moteurs de recherche, réseaux sociaux, etc.)
La typographie a également son importance dans le fait de souligner ou au contraire d’effacer en second plan une information. Ce n’est pas en mettant le plus gros possible le nom qu’il sera nécessairement plus lisible. L’équilibre se trouve finement en testant et en mettant forme ses premières envies et idées. Lors de processus de création, les couleurs et typographies sont soit validés rapidement, soit retravaillés car l’ensemble de l’image ne fonctionne pas de manière optimale. Chaque cas est unique et je m’efforce d’apporter les réponses graphiques les plus efficaces possibles.
Comment choisissez-vous le fonds et les couleurs ?
L’ambiance générale d’un visuel est définie en amont en cohérence avec le message à véhiculer ou le concept validé. Je ne me limite en rien dans la réflexion et les propositions. Le plus important étant, dans ma démarche, de rester sobre, élégant et de mettre l’artiste en valeur.
Il y a aussi des modes ou des tendances, mais le plus intéressant est d’essayer de les transgresser et d’avoir un visuel adapté et sur mesure.
Sur certains projets, l’artiste peut avoir une idée assez précise de la dominante de couleurs. Dans ce cas, soit la cohérence et l’ambiance générale peut être efficace, soit je propose d’autres pistes en prenant en compte les envies premières. C’est un métier d’équilibriste devant répondre à une démarche artistique tout en respectant des impératifs de cohérence graphique, de lisibilité et de marketing.
«Je plisse les yeux en prenant du recul
pour valider ou non le processus de lecture et la lisibilité»
Travaillez-vous aussi le cheminement du regard ?
Oui, avec une technique toute simple, je plisse les yeux en prenant du recul pour valider ou non le processus de lecture et la lisibilité. Il arrive qu’entre les envies ou concepts et le visuel mis en forme la lisibilité n’est pas optimale, du fait d’une typo, d’une couleur ou d’un élément qui va troubler la lecture. Je n’hésite donc pas à reprendre à la base le projet afin d’arriver à un résultat diffusé qui sera le plus lisible rapidement et le plus efficace possible.
Mon métier étant de mettre en valeur et d’extrapoler en images les spécificités d’un artiste, le processus de création englobe la réflexion en amont, l’image la plus impactante au regard du concept et des envies et enfin la facilité de lecture des éléments principaux et l’impact du message.
Le cheminement du regard en fait donc partie de manière naturelle. Il est important aussi dans cette activité de se nourrir continuellement d’expositions, de livres, de sentir les tendances à travers le monde, de voyager, de s’imprégner de publicités ou œuvres et surtout d’aimer les artistes pour réaliser la plus belle affiche possible.
Propos recueillis par Nicolas Marc
Demain sur Culturelink, les secrets de Philippe Jacquin/agence Ioda : «Le public se souvient longtemps de l’affiche d’un spectacle qu’il est allé voir»
https://www.culturelink.fr/pratiques-pros/le-secret-dune-affiche-de-spectacle-reussie-22