Personnages de l’ombre, les bookers, ou agents artistiques, négocient les performances des artistes en concert ou dans les festivals. Dans une industrie musicale post-Covid où la performance live est un pilier économique majeur, ils sont désormais incontournables.
Leur simple évocation suffit à froncer les sourcils des patrons de clubs et organisateurs de concerts et de festivals. Souvent la cible de procès en cupidité, les bookers – ou tourneurs – sont à l’industrie musicale ce que les agents sportifs sont au football mondial, la flambe en moins. Complices voire responsables des dérives ultra-capitalistes du milieu pour certains, garants d’une juste rétribution des artistes pour d’autres, les bookers ont vu leur influence croître en l’espace d’une trentaine d’années seulement, à mesure que la crise du disque a renforcé l’impact du live.
Intermédiaires entre artistes, salles de concert et festivals, ces hommes et femmes de l’ombre rémunérés à la commission – qui peut grimper jusqu’à 20 % du cachet – se voient souvent accusés de faire primer le cash sonnant et trébuchant sur tout le reste, y compris l’intégrité artistique. Des griefs que les intéressés balaient d’un revers de main. Leurs objectifs revendiqués : débusquer les opportunités commerciales les plus intéressantes, entretenir des réseaux musicaux tentaculaires et défendre coûte que coûte les intérêts financiers de ceux qui font la musique. N’en déplaise aux nostalgiques d’une époque où ces derniers se contentaient de cachets modestes et de rémunération en visibilité. En pleine évolution, la profession se féminise, même si le milieu demeure très testostéroné. «Bien qu’il reste de gros progrès à faire, on note un attrait grandissant pour ce métier chez les femmes», confirme Guillaume Benfeghoul, responsable du booking chez Allo Floride. «C’est propre à la France, car au niveau international on a depuis longtemps des profils féminins forts, avec des personnalités comme Belinda Law, Maria May ou Natasha Bent.»
Radical Productions, Totem, Alias, Bi : Pole, Corida, Super !, Allo Floride, Caramba : une poignée d’agences française de booking et de productions de concerts se partagent le gâteau lucratif du live, tous genres musicaux confondus. Jeune métier apparu dans les années 90 avec la starification des DJ, le terme booker est un cas sémantique particulier, celui d’un anglicisme utilisé essentiellement en France. Un paradoxe qui amuse Harald Lundell, à la tête de Gigs Production dont le catalogue d’artistes – roster dans le jargon – comprend A Trak, Mr Oizo, Breakbot ou encore Kavinsky : «Dans les pays anglo-saxons, on emploie le terme d’agent. En France, on est agent artistique dans le cinéma et booker dans la musique, c’est surtout une histoire d’appellation même si le boulot demeure le même.»
Bien que certaines structures proposent un panel d’expertise complet regroupant management, édition musicale et production de concerts dont le fonctionnement amène bookers et promoteurs à travailler main dans la main, le cœur du métier de booker consiste en un rôle de commercial de la performance scénique. «Le booker est un maillon essentiel de l’accompagnement que nous proposons», explique Thierry Langlois, fondateur de la société de production de concerts Uni-T qui gère notamment les prestations live de Izïa et Pomme. «Les rapports qu’il entretient avec les promoteurs et son propre réseau sont déterminants. C’est aussi une activité de plus en plus difficile, avec une concurrence sévère et beaucoup plus d’artiste qu’il y a dix ans. C’est un métier parfois assez ingrat, en particulier avec les jeunes artistes, compliqués à imposer. Il y a trop peu de salles pour arriver à tous les faire jouer ! A Paris, où nous produisons l’essentiel de nos concerts, le problème principal consiste à trouver des disponibilités dans les salles. En province, où on doit passer par le filtre des programmateurs, et c’est plus encore compliqué car il faut qu’ils soient séduits.»
Mais la problématique n’est pas que nationale. Pour développer les opportunités commerciales de ses artistes français à l’étranger, Thierry Langlois doit faire appel à des agents anglo-saxons, solidement implantés dans leurs zones géographiques. «A l’inverse, nous proposons aussi nos services de booking aux artistes étrangers, en «vendant» leurs shows à des festivals», explique-t-il. Détails pratiques de la salle ou du festival, capacité d’accueil, prix moyen du billet, autres artistes présents dans le cas d’un festival, têtes d’affiche et, évidemment, rémunération : pour convaincre les managers des artistes qu’ils représentent, les bookers doivent fournir des listes précises des conditions du live.
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