Le cinéma d’art et d’essai décroche rudement alors que les blockbusters marchent fort observe dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
CHRONIQUE – Alors que la rentrée culturelle est synonyme de joie et de découvertes, le mois de septembre, désormais clos, vaut désastre pour le cinéma en France. Il s’est vendu en trente jours 7,38 millions de tickets, soit le plus bas niveau de fréquentation à la même période depuis 1980. Et si on croise d’autres données, il faut remonter à plus d’un siècle pour arriver à un chiffre aussi bas.
Ce triste record, on le sentait venir. Cela fait neuf mois que les salles ont perdu 30 % de leur public par rapport à 2019, dernière année avant le Covid-19. Plus inquiétant, l’été 2022 a totalisé moins d’entrées que l’été 2021, pourtant freiné par le passe sanitaire. L’heure est d’autant plus grave que la recette des salles constitue le socle du modèle français, si envié partout : les gros films, surtout américains, financent en partie le cinéma d’art et d’essai, essentiellement français, par le biais d’une taxe prélevée sur chaque ticket.
Cette mutualisation est efficace et vertueuse tant que le public suit dans les gros comme les petits films. Ce n’est plus le cas. Les blockbusters marchent fort mais ils sont moins nombreux, alors que le cinéma d’auteur décroche rudement. Chacun se rassurera avec des contre-exemples mais la réalité est là.
Offensive
Les chiffres, c’est le seul sujet où la famille du cinéma français se retrouve. Dès qu’il est question des causes et des remèdes, les déchirures sont profondes, disons entre ceux qui voient d’abord dans le cinéma un art et ceux qui le considèrent comme une industrie. Les premiers, tout en appelant à des états généraux, se sont réunis jeudi 6 octobre à Paris pour dénoncer la « logique marchande décomplexée » de l’Etat et du Centre national du cinéma et de l’image animée. Ils s’inquiètent d’un investissement de 350 millions d’euros destiné à favoriser en France une écriture, des films, des rythmes, des images qui seraient calqués sur des standards américains – Hollywood et les plates-formes.
La charge doit être entendue mais outre qu’elle est loin d’être unanime, il serait d’abord élégant de rappeler les centaines de millions que l’Etat a injectés dans le cinéma pendant la crise sanitaire. Et puis l’offensive serait plus crédible si elle était accompagnée d’un minimum d’autocritique et si n’étaient pas oblitérés des sujets qui fâchent.
A la question de savoir pourquoi le public va moins voir les films d’art, les frondeurs citent l’inflation, la baisse du pouvoir d’achat, la pandémie, les plates-formes, les séries télé… Ils ne se demandent pas si leurs films font partie du problème. Ils n’interrogent pas l’évolution de la société et des usages et encore moins la qualité des œuvres, les scénarios peu aboutis, la mise en scène mal ficelée, le son médiocre… Posez ces questions, et on vous taxe de populiste ou de vendu au marché.
Beaucoup aussi font l’autruche face aux études répétées depuis vingt ans qui montrent que le public du cinéma français vieillit fortement et meurt sans être remplacé. Ils ne se demandent pas pourquoi la majorité des 15 à 40 ans sont rétifs aux formes et récits des films français. La productrice Sylvie Pialat est une des rares à s’en inquiéter. Le ministère de la culture doit aller beaucoup plus loin pour attirer les jeunes mais il ne sera pas simple d’endiguer la vague.
Match visuel
Le cinéma français qualifie les plates-formes de streaming d’ennemis sans l’être vraiment, et surtout demande que ces dernières financent plus fortement la création en France. L’Etat a pourtant déjà obtenu quelques millions d’euros des plates-formes. Il faudra aller plus loin mais ce ne sera pas facile tant leur prolifération vaut rouleau compresseur. Est-ce la faute de l’Etat si le match visuel depuis la rentrée, pour les jeunes, se joue entre la série Les Anneaux de pouvoir sur Amazon Prime Video et House of the Dragon sur OCS ?
Il est plus facile de critiquer l’Etat sur les plates-formes que les scénaristes, cinéastes, acteurs français – toujours plus nombreux – qui répondent à leurs sirènes. Cédric Klapisch, après le succès de son film En Corps (1,3 million d’entrées) tourne la série Salade grecque, pour Amazon Prime Video. Il ne voit pas le problème à partir du moment où « les plates-formes participent au financement de la création française ».
La France n’y peut rien si la Mostra, le célèbre festival de cinéma de Venise, a programmé début septembre quatre films de Netflix, dont celui de Romain Gavras, Athena, qui triomphe sur la plate-forme. Le cinéaste, tout en rappelant que seul Netflix lui a apporté les moyens et la liberté de faire son film, en a profité pour attaquer ses camarades sur le site Tf1info.fr : « En France, on trouve que le travail de l’image, c’est vulgaire. Alors que lorsqu’on fait du cinéma, selon moi, le travail de l’image est essentiel. La forme raconte quelque chose du fond. »
Ambiguïté
Si le cinéma d’auteur va mal, c’est aussi parce que les gros films d’Hollywood sont moins nombreux. Soixante et onze prévus en 2023 contre 102 projetés en 2019. Et là encore le ministère de la culture n’y peut rien. Ni au fait que Disney menace de ne pas sortir dans les salles en France son blockbuster Black Panther : Wakanda Forever, prévu pour l’instant le 9 novembre, refusant d’attendre ensuite quinze mois pour pouvoir le diffuser sur sa plate-forme – une règle imposée par les diffuseurs multiples de films, des salles aux chaînes de télévision.
C’est ainsi que pour la fin d’année, période...
Lire la suite sur lemonde.fr