De même que la permaculture s’inspire du fonctionnement de la nature pour penser des modes de production vertueux, le président du Palais de Tokyo, Guillaume Désanges, propose, dans une tribune au Monde, de repenser les institutions culturelles, de la communication au bâtiment, du management à la programmation.
TRIBUNE. Guillaume Désanges, Président du Palais de Tokyo
Alors que l’écologie s’invite dans les programmations et débats organisés par les institutions culturelles à travers le monde, il faut se rendre à l’évidence : l’art ne fait pas que dénoncer. Il fait aussi, en tant qu’industrie, partie du problème. Culture de masse, logique événementielle, mondialisation, obsolescence programmée de l’art et des artistes au profit d’une logique d’« avant-garde » fondée sur la nouveauté permanente sont les héritages d’une modernité triomphante qui pensait les ressources illimitées. Elle nous amène à produire toujours plus pour toujours plus de visiteurs, à dépenser beaucoup d’énergie et de matériaux qui créent de nombreux déchets physiques et intellectuels.
Sur un autre front, les fondations idéologiques et morales sur lesquelles étaient bâties nos institutions vacillent face à de nouvelles revendications en matière de représentation, de considération, de rémunération, de diversité, de parité. Face à ces défis qui s’entrecroisent, le secteur culturel a entamé une réflexion sans, avouons-le, toujours savoir comment résoudre ses contradictions.
Pourtant, les mondes de l’art sont porteurs d’une conscience, d’une vitalité et d’une capacité d’invention particulièrement salutaires aujourd’hui. D’abord parce que les artistes sont les champions de l’adaptation, sachant sublimer le réel et créer à partir de peu. Son histoire étant bien plus ancienne que la modernité industrielle, l’art a beaucoup à nous apprendre en matière d’autonomie, de réflexion critique sur les matériaux, de durabilité, de recyclage et de simplicité comme force.
Repenser nos missions et nos fonctionnements
Au-delà des décisions cosmétiques que nous prenons dans l’urgence, on peut donc s’inspirer de cette « pensée artiste » pour envisager un tournant dans l’histoire de nos économies et de nos activités, que j’articule autour du concept de permaculture institutionnelle. La « permaculture » s’inspire du fonctionnement résilient de la nature en pensant des modes de production agricole vertueux, durables, respectueux de la biodiversité et de l’humain.
Adaptée à l’institution culturelle, elle est une manière positive de repenser nos missions et nos fonctionnements. Plus qu’un ensemble de règles, c’est une éthique, un esprit insufflé à l’ensemble de l’institution : de la communication au bâtiment, du management à la programmation.
Par exemple, si la production reste essentielle à nos métiers, elle doit être questionnée, pondérée, réfléchie avec les artistes, sans hésiter à remettre en circulation, à chaque fois que cela est pertinent, des formes, des pratiques et des idées existantes. La permaculture réaffirme un principe de nécessité et renoue avec des fonctions de l’art, sensibles, symboliques, mais aussi pédagogiques, thérapeutiques et sociales. En bref, il ne s’agit plus uniquement de se demander « que montrer ? » et « comment montrer ? », mais aussi « pourquoi montrer ? » et « à qui ? ».
Agir en écosystème
Devenir permaculturel, c’est penser et agir en écosystème, dans une logique de collaboration et de partage des ressources plutôt que de compétition entre les institutions. C’est éviter les tentations hégémoniques en réfléchissant aux besoins réels des artistes et des publics, avec une vision élargie de l’action culturelle.
Devenir permaculturel, c’est opter pour un partage raisonné de l’espace et du temps, en multipliant les usages dans nos institutions : qu’elles ne soient pas seulement des lieux de visibilité, mais aussi de travail et de recherche pour les artistes, ainsi que de pratiques diversifiées pour les publics, avec une visée sociale. Car, si nous voulons rester des lieux vivants, nous devons d’abord être des lieux qui accueillent la vie.
Devenir permaculturel, c’est favoriser les circuits courts. Plutôt qu’une course aux artistes internationaux présentés hors-sol, nous devons prêter une attention particulière à la création et aux cultures locales, dans un tissage vertueux entre l’histoire d’un territoire et la création mondiale.
Eviter la monoculture artistique
Devenir permaculturel, c’est travailler avec les artistes et les publics sur des temps longs, en évitant le caractère jetable des formes et des idées. Devenir permaculturel, c’est éviter la monoculture esthétique en travaillant à des programmations diversifiées, incluant les cultures populaires, marginalisées ou folklorisées et ce qu’on appelle les mauvaises herbes, les adventices, les objets méprisés et les plantes qui n’ont pas de nom.
La permaculture institutionnelle est ambitieuse : elle n’entend pas uniquement limiter nos impacts négatifs, mais aussi renforcer nos impacts positifs sur les consciences, cette influence que nous revendiquons sur les regards et les sensibilités, avec comme horizon de changer d’horizon.
Oui, nous continuerons à faire des expositions et à les partager avec le public. Oui, nous continuerons à produire des...
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