
L’économie, conséquence de l’explosion des prix du gaz, semble dérisoire par rapport au signe fâcheux envoyé par la mairie écologiste, observe dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
A partir d’octobre, huit musées gérés par la ville de Strasbourg fermeront non plus un mais deux jours par semaine ainsi qu’au déjeuner. Pas de quoi en faire un scandale, mais cette décision soulève une moisson de questions, qui touchent à la place fragile du musée dans la cité et à ses missions. Sur fond de crise énergétique mondiale.
Si les musées ferment deux jours, c’est en partie à cause du contrat de gaz de la ville, qui passera le 1er octobre de 3,4 millions d’euros à 17,2 millions, explique la maire écologiste, Jeanne Barseghian. Strasbourg sera donc la première métropole en France à faire souffrir la culture à cause du gaz. D’autres feront-elles pareil au nom – commode – de la sobriété ?
L’économie faite semble dérisoire par rapport au signe fâcheux envoyé. Car un musée digne de ce nom ferme un jour par semaine partout dans le monde. Strasbourg est une ville prestigieuse, touristique, au carrefour de l’Europe, avec des musées à forte réputation, dans l’art ancien comme contemporain, décoratif ou alsacien. Une ville qui a fait d’importants investissements dans ses musées et qui a ouvert récemment un bâtiment de 8 000 mètres carrés pour leurs réserves. Une pétition en ligne et un préavis de grève du personnel municipal, à l’appel de la CGT, disent l’émoi.
L’enjeu de la gratuité
Passons aux questions qui fâchent. La ville de Strasbourg a pu gonfler la fermeture de ses musées en regardant les chiffres de fréquentation. Hormis quelques paquebots parisiens, les milliers de musées en France sont souvent clairsemés, voire vides. Avant la pandémie de Covid-19, le Louvre affichait en un jour une fréquentation que l’immense majorité des musées n’atteignent pas en un an. D’où ce constat alarmiste, dans La Croix du 28 février, d’Hervé Barbaret, directeur général de l’Agence France-Muséums : on ne parle que de surfréquentation alors que, « trop souvent, les musées sont vides » et que plus des deux tiers des Français n’y mettent jamais les pieds.
A Strasbourg, comme souvent ailleurs, quasiment tous les musées concernés ont une majorité de public qui ne paie pas (notamment des scolaires), ce qui n’est pas bon signe quant à leur vitalité, mais leur fréquentation est dans la bonne moyenne des grandes villes en France. La maire ouvre un autre sujet de débat quand elle dit préférer fermer un deuxième jour et conserver un ticket peu élevé, à 7,50 euros, plutôt que de l’augmenter. L’argument surprend. Le tarif de 7,50 euros est dans la norme de ce qui se fait ailleurs en région, pas plus bas. Surtout, Mme Barseghian ne mentionne pas une solution : la gratuité. Quelques villes comme Paris, Rouen, Avignon ou Marseille l’ont adoptée tandis que d’autres, comme Lille, Lyon ou Strasbourg préfèrent continuer à faire payer, sauf les moins de 18 ans.
Relativisons l’enjeu de la gratuité : elle ne concerne que les collections permanentes alors que la grande majorité du public se rend au musée pour les expositions temporaires, qui, elles, sont toujours payantes – et souvent chères. Mais les villes perdent de l’argent avec la gratuité. Elles le font en espérant augmenter le public et surtout le diversifier. Le deuxième point divise. Des études montrent que la gratuité ne fait que favoriser les habitués de l’art, qui se recrutent en masse chez les gens aisés, urbains et plutôt âgés, et qu’il est absurde de ne pas les faire payer. Mais une étude de 2009 montre au contraire que la gratuité attire un public populaire.
Cette étude a été à l’époque escamotée par le ministère de la culture et on comprend pourquoi : rendez gratuits le Louvre, le château de Versailles et la cinquantaine de musées nationaux, et l’Etat devra trouver plusieurs centaines de millions d’euros supplémentaires pour les faire vivre. Et puis il serait délicat que l’impôt paie la visite gratuite du Louvre aux touristes étrangers. Aussi la doxa de l’Etat, depuis 2009, est-elle de limiter la gratuité dans les musées nationaux aux moins de 26 ans de l’Union européenne.
Renouer les liens sera complexe
Mais disons que, dans des musées en région, où la fréquentation reste modeste, la gratuité peut contribuer – à côté d’autres mesures – à élargir le public. Là encore, Strasbourg étonne. Après la première année de Covid-19, en mai 2021, et pendant trois mois, les musées de la ville ont été...
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