Contrairement aux Etats-Unis, le monde de la culture français résiste tant bien quel mal aux confinements grâce à l’argent public, observe dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
Chronique. Le premier ministre, Jean Castex, est tancé pour avoir fermé les librairies. La ministre de la culture, Roselyne Bachelot, aussi, qui n’a pas su le convaincre. Cette polémique cache l’essentiel. Depuis huit mois que dure la crise liée au Covid-19, la France culturelle résiste grâce à son modèle, charpenté par l’argent public, et au gouvernement, qui multiplie les aides d’urgence. Les grincheux devraient regarder ce qui se passe à l’étranger. Aucun autre pays, hormis l’Allemagne, ne protège autant la culture dans la tempête.
Quand le confinement fut décrété en mars, certains ont prédit le chaos pour l’automne. Ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de faillite d’entreprises. Les personnels ne sont pas à la rue. Les intermittents sont aidés. La flamme de la création est fragile, mais reste allumée. Des librairies font du « click and collect ». Des tournages de films ont lieu, des répétitions de pièces aussi.
Si des musées et expositions vivent par le biais d’Internet, si la Philharmonie de Paris peut diffuser une vingtaine de concerts d’ici à la fin de l’année sur son site, si l’Opéra-Comique retransmettra le 14 novembre sur Arte et sur France Musique, Hippolyte et Aricie, de Rameau, avec des chanteurs sur scène, maquillés et en costumes, au milieu de décors, accompagnés d’un chœur et d’un orchestre, bref comme si de rien n’était sauf que la salle sera vide – une performance inédite –, c’est parce que l’Etat paie.
Alors, bien sûr, il y a des trous dans la raquette, les joyaux culturels sont mieux soignés que les petits lieux ou ensembles indépendants, le secteur privé souffre bien plus que les institutions, la filière musicale qui organise des concerts debout jouera sa survie jusqu’en juin 2021… Mais, pour l’instant, le système tient.
Eviter la faillite
La crise due au Covid-19 révèle et creuse le fossé entre deux modèles. Celui de la France, partagé en Europe, repose en bonne partie sur l’argent public, qui permet à nombre de musées, théâtres, salles de concerts de tenir et même d’être actifs. L’autre modèle, celui des Etats-Unis, du Royaume-Uni aussi, repose sur l’argent privé, le mécénat et la billetterie. Avec un public introuvable, la lumière s’éteint, les lieux sont dans le rouge, voire pire, si l’Etat ou une ville ne viennent pas à la rescousse. La situation des personnels n’est pas la même non plus – enviable dans le premier modèle, périlleux dans le second.
Prenons l’Allemagne, qui a le plus vite réagi à l’épidémie, attribuant dès mars une prime de 9 000 à 15 000 euros aux créateurs, microentreprises et travailleurs indépendants. De multiples aides ont suivi, parachevées en juin par un plan d’Etat de 1 milliard d’euros, ce qui est beaucoup quand on sait que les Länder réunis donnent bien plus d’argent à la culture.
Au Royaume-Uni, au contraire, le secteur est en sale état. Le New York Times a même évoqué, le 1er juillet, un « effondrement ». Hormis quelques lieux prestigieux et subventionnés, l’immense majorité ne cherche plus à tenir, mais à éviter la faillite. C’est le cas de plusieurs cinémas. De l’Opéra royal de Londres aussi, contraint de vendre un tableau de David Hockney, estimé 15 millions d’euros, pour ne pas sombrer. De la Royal Academy of Arts, qui envisage de vendre un marbre de Michel-Ange pour éviter de licencier 150 personnes.
Devant la bronca, le gouvernement britannique a réagi tardivement, dégageant en juillet 1,5 milliard de livres sterling (1,66 milliard d’euros). C’est un plan modeste, défensif, flou, sans regard global – postulez, on verra si on donne et combien –, qui vise surtout à sauver « les joyaux de la Couronne », beaucoup moins le tissu local et les professionnels.
Appel aux dons sur Internet
La situation est encore plus violente aux Etats-Unis, où l’Etat se mêle peu de culture. Les salles de spectacle sont fermées et les cinémas tournent au ralenti depuis mars. Qu’il y ait confinement ou pas. A New York, phare culturel du pays, la quarantaine de théâtres à Broadway et le prestigieux Metropolitan Opera ont fermé leurs portes jusqu’à mai ou septembre 2021. Du jamais-vu. Et des personnels sont réduits à faire appel aux dons sur Internet.
Les milieux culturels américains ont réclamé 4 milliards de dollars (3,38 milliards d’euros) à l’Etat fédéral pour tenir. Ils en ont obtenu 150 millions. Ainsi, les musées sont ouverts, mais au bord du gouffre. La revue Artnet News a listé, le 5 octobre, huit musées américains qui vont vendre des bijoux de famille pour un montant global estimé à 100 millions de dollars. Le Brooklyn Museum, à New York, a déjà vendu un Lucas Cranach 5,1 millions de dollars.
Les conséquences sociales sont rudes. Les universitaires Richard Florida et Michael Seman, dans un rapport publié en août par la Brooking Institution, estiment que 2,7 millions d’emplois culturels...
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