
La 36e Nuit des molières n’a que mollement et poliment protesté contre les coupes budgétaires pourtant dramatiques qui touchent le spectacle vivant. Multirécompensés : «Du charbon dans les veines» de Jean-Philippe Daguerre et «Le Soulier de satin» d’Éric Ruf.
Alors que le Syndeac s’alarmait cet après-midi d’une «nouvelle annulation de crédits de 48 millions d’euros» sur le «programme création» du ministère de la Culture, Rachida Dati tentait dans la foulée de rassurer la petite famille du théâtre dans des mots convenus et une vidéo crispée, tenant davantage du faire-part de condoléances que de l’invitation festive. Les Molières s’ouvrent sous de sinistres augures, mais commencent dans la liesse d’une reprise des Misérables : «A la Volonté du peuple» chante-t-on, en voilà un super programme ! De fait on y solde en chœur l’idée même de la résistance : la barricade elle reste dehors avec les râleurs, merci. Caroline Vigneaux, maîtresse de cérémonie pour la deuxième fois - c’est tellement sympa il faut dire - enchaîne en Marianne sur un air jazzy et c’est parti. Rachida Dati bonsoir !
Lyrisme triste
Ce soir les Folies semblaient particulièrement Bergères : peu de moutons noirs et bien peu de loups pour hurler à la faillite, alors que les chiffres sont au rouge, le nombre de productions en baisse, que des directeurs désespérés démissionnent et de plus jeunes se résignent, et que le théâtre privé peine à retrouver sa fréquentation d’avant COVID. On bâche un peu, mais ça reste sympa : pas de gueulantes, mais de gentils vœux pieux, des jeux de mots vieillots («à gogo» sic), et toujours ce petit air jazzy. Consacré meilleur metteur en scène dans le théâtre public pour son Soulier de satin qui remporte en tout cinq récompenses, Éric Ruf se lance dans une tirade policée, teintée d’un lyrisme triste et découragé quand il appelle «à aider Madame la Ministre». L’ironie qu’il y glisse est inaudible : il est apparemment acquis qu’elle fait ce qu’elle peut, la pauvre. La plus longue ovation sera pour Thomas Jolly récompensé par un molière d’honneur, l’enfant chéri des JO, mais surtout d’un système subventionné en danger, comme il le rappelle dans une longue tirade mi-engagée mi-mégalo. Thomas Jolly dont la stature désormais indéboulonnable aurait sans doute autorisé à davantage de virulence.
Les intervenants et les récipiendaires se succèdent sur le plateau ; on baille. C’est fou comme ces types dont la scène est le métier bataillent avec l’exercice, et s’empêtrent dans le sérieux de références vides et de pénibles remerciements. Sketchs, danses et numéros viennent rompre le défilé, disparates et parfois franchement ratés ; on grimace.
On remarque comme chaque année à quel point le grand raout national privilégie les artistes d’un théâtre largement privé. Alain Françon, Caroline Guiela Nguyen, Mohammed El Khatib ou Ariane Mnouchkine n’ont pas fait le...
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