
Bandes-annonces, courts métrages, morceaux créés pour l’occasion... Pour annoncer la sortie d’un album ou la date d’un concert, les artistes rivalisent d’imagination pour concevoir des campagnes de promotion singulières.
Lundi prochain, le 26 mai, le groupe Feu Chatterton ! va annoncer sur ses réseaux un événement encore mystérieux. Il n’aura pas recours à la forme désuète du communiqué de presse et privilégiera une vidéo teaser. Sans dévoiler la nature de l’information, Mélissa Phulpin, l’attachée de presse des Français sourit : «Ils veulent marquer le coup. Ça les amuse de faire les choses un peu différemment. Ils pensent que leur public est aussi friand de ce genre d’annonce événementielle.» D’autres artistes aiment s’adresser à leurs fans avec des vidéos sophistiquées. En mai de l’année dernière, David Guetta a annoncé qu’il jouerait au Vélodrome de Marseille avec une vidéo montrant un motard circulant à pleine vitesse dans la ville avec, en guise de final, un monolithe, symbole de sa tournée, posé au milieu du stade. Révélé par le programme rap de Netflix, Nouvelle Classe, Yorssy a choisi, lui, pour annoncer l’ouverture de la billetterie de son concert à la Cigale en octobre prochain, de se mettre en scène dans une caméra cachée en plein Paris, galérant pour rallier la salle.
Ce genre de coup marketing pour annoncer un concert ou la sortie d’un disque est de plus en plus fréquent aujourd’hui. Des happenings de plus en plus imaginatifs, dont l’origine remonte sans doute à une trentaine d’années lorsque les équipes de Michael Jackson avaient installé neuf statues géantes à son effigie dans neuf villes du monde pour promouvoir la sortie de la compilation HIStory. Il y a quelques années, les Rolling Stones, eux, s’étaient lancés dans un jeu de piste inventif : en août 2023, leur maison de disques a publié dans la presse locale londonienne une publicité au nom d’une société fictive, Hackney Diamonds, en réalité le titre de leur nouvel album. Le faux encart promotionnel adressait des clins d’œil aux fans en reprenant des titres phares de leur discographie comme Satisfaction. En septembre dernier, pour signaler son retour, The Cure a fait afficher un poster à l’extérieur du pub où le groupe avait joué son premier concert en 1978 dans la ville de Crawley.
En Corée du Sud, où l’audience des groupes de K-pop est faramineuse, la promotion des nouvelles sorties se fait généralement en multipliant les teasers. «En termes de business model, la K-pop est plus sur une logique à la Marvel, résume Ophélie Surcouf, journaliste et coauteure avec l’illustratrice Maud Riemann de La K-pop. De la même manière que le studio américain arrose les réseaux d’innombrables bandes-annonces pour chaque nouveau film, une sortie K-pop s’accompagne de nombreuses micro-annonces pour allécher les fans.» La recette fonctionne toujours en 2025. Lisa, membre de Blackpink, a teasé son nouvel album solo, Alter Ego avec une multitude de vidéos courtes bourrées d’effets spéciaux avant qu’une plus longue, de trois minutes, ne resserre son propos.
Au diapason de la K-pop, le rap français ne manque pas de présence et d’audace à l’instar d’Aya Nakamura s’affichant sur Times Square pour Aya en 2020. «Ce genre musical a toujours été précurseur, commente Fred Musa, animateur de l’émission phare de Skyrock, Planète Rap. Il y a depuis longtemps un concours à l’originalité. Dès 2006, Sinik avait fait déposer dans Paris 25 blocs de glace renfermant les premières copies de son album Sang Froid.» Depuis, la méthode a fait école et les manières d’événementialiser les annonces se sont raffinées. Ainsi, Lacrim, pour son album Force et Honneur en 2017 a réalisé une websérie de quatre épisodes, une fiction inspirée de sa vie. En juin 2021, avant la sortie de l’album l’Etrange histoire de Mr Anderson, Laylow a joué dans un court-métrage pour résumer son concept. Les rappeurs ont aussi recours à des morceaux inédits qui deviennent d’habiles supports promotionnels. En 2017, Niska présentait le tracklisting de son album Commando dans un freestyle où il reprenait les titres de chaque chanson.
La patte Werenoi
Numéro un des ventes en France depuis deux ans, le regretté Werenoi, disparu brutalement le 17 mai, avait une technique bien à lui : enregistrer avant chaque album un morceau dont le titre indique directement le jour de sa sortie. Plusieurs semaines avant le drame, Babs, son producteur, se souvenait de l’urgence dans laquelle est né le morceau 10.03.2023, titre publié juste avant la sortie de Carré. «J’ai dit à la maison de disques Believe qu’il manquait un dernier titre fort, un dernier coup de marteau. Pour le premier album de Werenoi, on devait trouver une manière de se démarquer de toutes les sorties de la semaine. Les médias parlaient déjà énormément de son album mais personne se savait quand il allait sortir. Dix jours avant la sortie, Werenoi a écrit très vite tandis que j’organisais le tournage du clip… Et on a appelé le nouveau morceau 10.03.2023 de sorte que personne n’ignore la date ! L’album Carré aurait pu marcher sans ce titre mais il lui a donné une vraie dynamique.» Depuis, avaient suivi 16.02.2024 et 11.04.2025, annonçant respectivement les disques Pyramide et Diamant Noir. «Le coup était d’autant plus fort que Werenoi se payait à chaque fois une pub gratuite sur les plateformes», salue Fred Musa, également affecté par la mort du rappeur.
Indéniablement, l’astuce de Babs et Werenoi a donné des idées à leur collègue Ninho. Le 31 janvier 2024, surgissait sur les sites de streaming le morceau 3 mai 2025 pour que ses fans cochent la date de sa venue au Stade de France. «Comme Skyrock est partenaire, je savais que l’annonce était imminente, se souvient Fred Musa. Mais je ne savais pas quelle manière Ninho utiliserait pour la promotion. Quand le morceau est sorti, on s’est tous pris dans la gueule son refrain : “et puis le 3 mai 2025, on s’ra 80 000 /C’est plus d’humains que dans ta ville”.» Ecouté plus d’une dizaine de millions de fois, le morceau a été autrement plus efficace que...
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